Bio, blanc, rouge : l’extrême-droite à l'assaut de l’agriculture biologique

Depuis plusieurs années, des mouvements d’extrême droite créent des potagers, des associations bio ou des maisons vertes. Sous couvert de discours antimondialistes, ces projets en apparence sympathiques sèment des principes beaucoup moins louables. Cette petite enquête lève le voile sur ces communautés aussi discrètes qu’inquiétantes.

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L’une des premières alertes est donnée début 2010 dans un petit village du Morvan, Mouron-sur-Yonne, 99 habitants. C’est un coin tranquille perdu entre Auxerre, Dijon et Nevers, juché en lisière d’un parc naturel remarquable. Mais comme dans nombre de petites communes, les riverains, notamment les plus anciens, subissent la désertification rurale. L'espoir renaît lorsque des jeunes décident en 2009 de reprendre l’ancienne tuilerie, abandonnée depuis des décennies. Un centre attractif mettant l’accent sur la convivialité et le grand air est en projet, et toute une vie s’installe de nouveau. Les bruits de marteau résonnent, les passages dans les rues autrefois désertes s’intensifient, on espère peut-être voir des familles s’installer un jour, bref cette activité fait plaisir et certains villageois la considère même comme salutaire.

Tout naturellement, pas mal de curieux s’y intéressent, jusqu’au jour où un internaute tombe sur des discussions en ligne décrivant le projet dans ses moindres détails: localité, bâtiments, dates… Et là, surprise : il constate que les débats et le cadre s’orientent ostensiblement vers l’extrême droite, avec son lot de quolibets racistes et d’odes à la mère patrie. L’endroit est nommé « La Desouchière » par ses partisans, ce qui sous-entend que ce lieu est réservé à ceux qui sont de « pure souche ». Rapidement, plusieurs personnes, dont des antifascistes, créent un blog pour dénoncer ce qui sera la première tentative avérée de village identitaire. Mois après mois, les auteurs du blog « Desouchière dégage ! » apportent des preuves sur les véritables intentions des nouveaux arrivants, bien cachées derrière la bonhomie affichée. Plusieurs piliers de la Desouchière sont issus du Bloc identitaire et de ses ramifications. Ils concrétisent ici la volonté fantasmée de recréer le bourg gaulois d’Astérix et Obélix, celui d’une vie en communauté loin du faste et de la consommation massive du quotidien, mais seulement entre « blancs ».

Le vert comme cache-sexe de la haine

En continuant les recherches, une nouvelle structure est dévoilée fin 2010 - début 2011. Il s’agit d’une AMAP (association pour le maintien d’une agriculture paysanne) de l’agglomération dijonnaise, ciblée pour les liens étroits qu’elle entretient avec la Desouchière. Elle s’illustre dans une volonté de promouvoir le terroir d’antan et propose les « paniers grevelons », assortiment type de produits locaux cultivés dans le seul amour de la terre. Mais là aussi, le vernis ne tiendra pas bien longtemps. Après vérification, cette association du nom de « Cercle Vincenot » (en hommage à l’écrivain régionaliste Bourguignon) s’avérera bien issue de la mouvance identitaire et directement de la Desouchière, avec des membres formés au sein de cette dernière et poursuivant les mêmes desseins. Même le boulanger qui venait de s’installer était lui aussi arrivé par ce biais. L’histoire se répète près de Besançon, où trois personnages récurrents de la Desouchière puis de l’AMAP de Dijon s’installent à la Caborne, du nom d’un habitat typique de la Franche-Comté, pour retenter l’expérience. Une nouvelle fois, la boulangerie est infiltrée et des locaux annexes servent de repère. Personne dans le village n’est au courant, seuls les initiés sont pour le moment dans la confidence le temps de développer le projet et de prendre racine. Des activités sportives et culturelles commencent à faire mouche auprès de la population. Un projet de potager et de culture vinicole est également préparé dans les communes où vivent les participants. En parallèle, des actions du Bloc identitaire se réalisent comme par hasard à proximité, mais sans que des liens puissent être prouvés. Il faudra mener un gros travail de recherche pour éclaircir la situation.

À chaque fois, la stratégie est la même. Les identitaires tentent de s’infiltrer insidieusement au sein de villages en intégrant ses secteurs-clés, comme les commerces, les lieux d’enseignement, le milieu associatif et l’activité agricole. Si intégrer les AMAP et le terroir semble inoffensif, et que ces domaines ne sont de toute façon pas la propriété exclusive des non partisans de l’extrême droite, ces faits restent cependant fortement inquiétants. Car si se réapproprier la terre fait partie de l’idéologie d’extrême droite, ce n’est pour eux qu’un moyen d’atteindre d’autres buts. L’objectif est de s’enraciner profondément et d’amorcer un contrôle prépondérant de la commune pour enfin se révéler et mettre en place leur vision politique réelle. Celle d’une haine des musulmans, des juifs, des étrangers particulièrement maghrébins et subsahariens, des homosexuels, et des alternatifs. À la Desouchière, le plan final allait jusqu’à préparer la prise de la Mairie en calculant le poids démographique de leur communauté sur le reste du village.

Un réseau étendu sur toute la France

En 2013, le nombre de structures similaires à la Desouchière est difficile à évaluer. Ce qui est certain, c’est qu’il en existe partout en France. On peut par exemple citer le Réveil de la Vivre, structure située en Bourgogne. Selon ses auteurs, V.I.V.R.E. est un acronyme qui signifie valeur, identité, vérité, résistance et espoir. Ils devaient trouver un local et tenter une expérience de culture biologique en autonomie, c’était du moins la volonté initiale. Un peu endormie depuis fin 2011, on peut y voir sur leur site Internet de nombreuses rédactions à tendances conservatrices et catholiques, mais aucune réalisation concrète.

Encore bien active, Racines charnelles, située en Rhône-Alpes, entretient des liens forts avec Mouron-sur-Yonne et tente exactement le même parcours. On peut citer aussi la Ferme du Bout du Monde située en Haute-Loire de type « village gaulois », Retour à la Terre dans l’Allier pour un réenracinement, une antenne des « Vlaams Huis » à Lambersart dans le Nord sur les mêmes principes, et plus récemment Jeune Bretagne (antenne du Bloc identitaire) qui a acheté pour 330.000 € une bâtisse pour en faire un centre des identités nommé « Ti Breizh ». Ce dernier projet semble cependant avoir du plomb dans l’aile puisque Jeune Bretagne cherche à revendre la maison pour financer la création d’une web-TV nationaliste, selon le Télégramme breton.

Malheureusement, des tas d’autres réalisations pourraient être mentionnés. Cette existence témoigne d’une volonté réelle et prépondérante d’intégrer le paysage, et d’un réseau incroyablement dense de par cette myriade d’associations.

Si au début ces adeptes ne font pas encore parler d’eux, il en sera bien autrement le jour où ils parviendront à s’implanter durablement. Dans les lieux où ils ont pris leurs quartiers, les effets ne se sont pas fait attendre. Ainsi, à Dijon, ils n’hésitent pas à perturber en groupe un conseil municipal en s’y introduisant pour hurler leur combat ; à Lyon, une horde de militants d’extrême droite comprenant des néonazis, des hooligans, et des identitaires ont frappé, saccagé et agressé les premiers venus dans le centre historique en plein après-midi ; à Toulouse, le Bloc identitaire a été mis en cause lorsque des membres de la structure locale, dont le dirigeant, ont tabassé, cagoulés et armés de battes, ceux qu’ils jugent comme gauchistes et immigrés, blessant gravement un jeune chilien et le rendant hémiplégique et sourd à vie.

Sans parler du quotidien : nombreuses affiches xénophobes et autres supports puants, actions coup-de-poing comme la mise en place de puissants haut-parleurs passant l’appel à la prière au petit matin pour interpeller les voisins d’une construction de futur lieu de culte, intimidation et persécution des tenanciers de kebabs et autres acteurs issus de minorités ethnicoconfessionnelles. La liste pourrait être encore longue, mais les éléments soulignés ici parlent d’eux-mêmes : le potentiel de dangerosité et de nuisances est loin d’être faible.

Les démasquer pour les combattre

Face à ce mouvement, un devoir de vigilance et de vérification s’est peu à peu installé afin de stopper ces entreprises aussi insidieuses que dangereuses. Plusieurs personnes se sont attelées à cette tâche, avec des résultats probants. Ainsi, le cercle Vincenot de Dijon a été une première fois pointé du doigt par un anarchiste autonome. L’organisation change de nom et tente de se faire petite. Puis, de nouveau dénoncée par la même source, elle disparaîtra après que le maire, apprenant enfin la vérité, décide de ne plus lui prêter les locaux municipaux. En mars dernier, de mon côté, je me suis attaqué à voir ce qu’il en était de la « Caborne ». Comme toutes les associations évoquées, un petit blog à son nom valorise le terroir, l’éthique alimentaire, l’amitié autour d’une bonne table. Qui ne pourrait pas avoir de l’empathie devant ces valeurs franches et fraternelles ? Il m’a fallu plusieurs semaines pour démêler le vrai du faux, mais le résultat en vaut la peine. Après divulgation d‘une enquête minutieuse et incontestable, c’est le choc dans le village. Depuis, la Caborne semble s’être définitivement arrêtée.

Le projet de la Desouchière, lui, se poursuit malgré la pression politicomédiatique de plus en plus forte. Mais il a quand même été mis à mal par la « Desouchière dégage », lorsque le groupe a révélé des documents démontrant le montage immobilier et financier de ses occupants. Ils prévoyaient à terme le rachat d’une partie significative des habitations du village, en jouant sur la spéculation et le vieillissement de la population, l’objectif était d’instituer une véritable confrérie idéologique et raciale. Grâce à la lutte organisée par des militants et des riverains, les identitaires se contenteront finalement des anciennes tuileries qui ont aujourd’hui été presque entièrement refaites à neuf. S’il n’y a pas de solutions miracles pour enrayer leurs volontés, l’expérience montre qu’une fois démasqués, les rats s’empressent de quitter le navire.

Toufik de Planoise

auteur du blog www.toufik-de-planoise-net

Son enquête concernant ces réseaux en Franche-Comté

Illustration : Les Dem's