Le bio prend du volume

Avec un Français sur deux qui consomme bio au moins une fois par mois et 4,56 milliards d'euros de chiffre d’affaires en 2013, l’agriculture biologique est bel et bien entrée dans une phase industrielle. Pour fournir le marché, la production et les circuits de distribution se rapprochent de ceux employés par le secteur agro-alimentaire conventionnel.

« C’est plus facile de vendre un camion entier de légumes qu’une palette », explique Jan Van Overbeke, installé depuis 2007 sur 108 ha dans le Loiret. Il fait partie d’une nouvelle génération d’agriculteurs bio, les légumiers, qui peuvent fournir de gros volumes aux transformateurs et aux distributeurs. « Je ne sais pas tout le temps où partent mes légumes, mais 90 % finissent en grandes surfaces. Mes clients sont des grosses boîtes ou des coopératives ». Il écoule 1.500 tonnes de légumes par an sans passer par la vente directe. Pour lui, « les grosses quantités sont économiques, intéressantes et ne nécessitent pas beaucoup de main-d’œuvre ».

L’exploitation de Jan Van Overbeke fait partie du programme LPC Bio, qui vise à « développer la production de Légumes de Plein Champ biologiques dans les zones céréalières » pour fournir les grands réseaux de distribution. Il s’agit d’un mode de culture où chaque légume est cultivé de façon intensive sur des parcelles dédiées. Comme le précise par exemple la fiche technique du projet LPC Bio consacrée au poireau, il est nécessaire de disposer de « surfaces significatives pour assurer des volumes suivis sur toute la période hivernale, surfaces non compatibles avec une activité maraîchère ». Elle ajoute que « cette culture nécessite des investissements particuliers qui entraînent une spécialisation peu répandue en agriculture biologique ».

2,5% du marché alimentaire

Si le bio ne représente encore que 2,5 % du marché alimentaire total, le secteur est en plein essor, avec 9 % de hausse en 2013. Les objectifs du plan Ambition bio 2017 devraient encore dynamiser le secteur et orienter davantage l’agriculture biologique vers le marché de masse. Pour répondre aux besoins toujours plus importants, la taille des exploitations augmente et la contractualisation est encouragée à tous les niveaux, c’est-à-dire que l’agriculteur s’engage à fournir au client une quantité définie à l’avance. Pour le marché, cela signifie une planification de la production et une sécurité d’approvisionnement. Jan passe « presque toujours un contrat, il porte sur la variété, le calibre, la période, la quantité et le prix. Quand il n’y en a pas, il est oral ». Pour ses petits pois et ses carottes cela va même plus loin. Ces légumes n’appartiennent pas à Jan mais à D’aucy, qui fournit les semences et vient avec ses machines pour ramasser la récolte et la mettre en conserve.

Avec ce système, les agriculteurs ont peu de marge de manœuvre. Jan a arrêté les betteraves pour une question de calibre. « Quand ils ne correspondent pas aux critères des industriels, ils me le paient au prix du conventionnel. La dernière fois, j’en ai vendu un tiers en bio, un tiers en conventionnel et j’ai donné le dernier tiers aux vaches ». Les légumiers peuvent charger plusieurs camions de légumes par jour à des prix qui tournent autour de 35 centimes le kilo. à ce tarif, c’est une course au productivisme. Un maraîcher qui travaille sur un ou deux hectares vend ses légumes environ huit fois plus chers sur les étals.

Mais après diverses opérations de transports, de conditionnement, de calibrage, de lavage, de mise sous emballage et les marges de plusieurs intermédiaires, le consommateur ne sera pas forcément avantagé par cette distribution en circuit long. Les légumes d’un petit producteur sont souvent moins chers que ceux du rayon frais d’une grande surface. Les clients de produits bio sont en général plus aisés et la grande distribution en profite. Ses marges seraient plus élevées sur les produits bio que sur les autres.

Carrefour, Auchan, Casino, Leclerc et Système U captent presque la moitié du marché très rentable du bio en France, qui a atteint 4,56 milliards d'euros en 2013. Avec plus de 2.000 références, Carrefour a vendu cette année pour 581 millions d’euros de produits bio. Pour séduire de nouveaux consommateurs, toutes les enseignes ont décliné une version bio de leur marque de distributeurs (MDD) dont les coûts s’alignent à peu près sur ceux des produits équivalents des grandes marques en conventionnel. L’argument du prix est imparable et elles peuvent largement communiquer sur l’accessibilité du bio.

Coop de France, une structure influente

Pour appuyer l’organisation de l’approvisionnement du marché, l’État peut compter sur une structure bien solide. Coop de France, qui regroupe presque 3.000 coopératives agricoles, agroalimentaires et agro-industrielles françaises, se propose pour relever le défi de la structuration des filières. Ensemble, ces entreprises totalisent un chiffre d’affaires de plus de 83,5 milliards d’euros. Coop de France dispose d’une influence considérable dans le milieu agricole et saura faciliter la conversion de nombreux hectares. « Les coopératives impliquées dans les productions biologiques sont, pour la majorité d’entre elles, aussi investies dans les productions conventionnelles, et sont donc au cœur du partage des connaissances et des pratiques entre les différents modes de production », affirme Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture.

L’agriculture biologique est aujourd’hui assez mûre pour fournir à terme une part beaucoup plus importante de nos besoins alimentaires et sa prise en main progressive par les acteurs traditionnels du secteur agro-industriel est une des dernières étapes de sa normalisation. Mais l’évolution de la bio vers plus de productivisme laisse au bord du chemin le rêve de transformation agricole et sociale voulue par ses pionniers. Pour nombre d’opérateurs, l’agriculture biologique ne représente aujourd’hui qu’une part d’un marché florissant qui a doublé en cinq ans. 

Texte : Zor

Photo de une : Jan Van Overbeke, légumier dans le Loiret (Lutopik)

 

Les objectifs de la bio

Les objectifs de développement de l’agriculture biologique ont été énoncés en six points par le gouvernement dans le plan « Ambition bio 2017 ». Il vise à augmenter la production en doublant les surfaces certifiées AB, structurer les filières, favoriser la consommation et conquérir des marchés, renforcer la recherche et la formation des acteurs et enfin, adapter la réglementation pour en faire « un levier pour le développement de la bio ».
La nouvelle PAC 2015 favorisera les aides à la conversion biologique des grandes cultures (blé, triticale, orge, avoine, tournesol, maïs...) en les portant de 200 €/ha à 300 €/ha tandis que les aides au maintien passeront de 100 € à 160 €/ha. Les aides au maraîchage, à la viticulture et à l’arboriculture ne bougent pas et celles des légumes de plein champ n’ont pas encore été définies.
Doté de 4 millions d’euros par an, le Fonds Avenir Bio géré par l’Agence Bio, a pour mission de « soutenir des programmes de structuration des filières biologiques » et ses objectifs visent à « créer des économies d’échelle et optimiser les circuits de collecte ou de transformation » ou encore de « soutenir des projets d’envergure nationale ou supra-régionale, portés par des entreprises et des producteurs s’engageant contractuellement sur plusieurs années ». Les coopératives peuvent aussi s’appuyer sur la Banque publique d’investissement « pour financer des investissements structurants de stockage, transformation ou commercialisation ».
Pour développer la consommation et éprouver les circuits de distribution, le gouvernement a aussi misé sur un objectif de 20% de produits biologiques destinés à la restauration collective. Dans les cantines, les hôpitaux, les collectivités ou les entreprises, ces repas pourront aussi être accompagnés d’actions pédagogiques et de sensibilisation.


L’industrialisation à l'encontre des valeurs du bio

L’industrialisation de l’agriculture biologique est contraire à ses principes philosophiques fondateurs. Ceux-ci sont liés à l’agro-écologie qui associe les valeurs écologiques et sociales en s’opposant au modèle productiviste de l’agro-industrie. Pour Jordy van den Akker, paysan boulanger et ancien directeur de Nature et Progrès, « la bio d'aujourd'hui n'a gardé de cette radicalité politique que l'interdiction des produits chimiques de synthèse. La bio est ainsi définie par la négative dans un règlement technique, contrôlé et certifié par des organismes certificateurs (OC) pour fournir un marché ». Pour Xavier Noulihanne, éleveur et fromager, il ne s’agit pas d’une dérive mais d’un processus lent de normalisation et d’intégration de la bio dans l’ère industrielle. « Avant la certification, l’agriculture biologique existait déjà, elle était libre. La certification est un outil de l’industrie, ce n’est donc pas étonnant que 20 après, on y retrouve ses méthodes. Certains s’en étonnent aujourd’hui, mais l’objectif de la certification est d’abord d’aider cette production à rentrer dans les filières et les critères industriels ». Pour lui, la bascule s'est opérée quand la bio, qui n'était qu'un « moyen d’engraisser la terre », est passée d’« une technique agronomique à la certification d’un produit fini. à partir de là, l’industrie est intéressée, elle peut à la fois se verdir et produire en masse ».


Des entreprises du bio puissantes réunies au sein du Synabio

Les acteurs historiques du bio profitent de ces nouveaux volumes et deviennent puissants. Léa Nature, qui regroupe plusieurs marques comme Jardin bio, a absorbé Ekibio et est devenu un des leaders du secteur de la transformation avec plus de 1.000 salariés en France, 10 sites de production et 200 millions d'euros de chiffres d’affaires pour 2014. Distriborg est une filiale du puissant groupe hollandais Wessanen, elle distribue les marques Bjorg, Alter Éco, Bonneterre. Un produit sur quatre vendu en France dans la gamme épicerie bio vient de Distriborg. Avec Léa Nature et Biocoop, ces trois entreprises pèsent pour près de la moitié du chiffre d’affaires des 120 adhérents du Synabio, un syndicat professionnel qui réunit des transformateurs et des distributeurs bio.



Cet article est tiré du dossier sur les deux visages de l'agriculture bio paru dans le magazine papier Lutopik #5.Ce magazine fonctionne sans publicité ni subvention et ne peut continuer d'exister que grace à ses lecteurs. Si vous appréciez Lutopik, vous pouvez vous abonner, commander un exemplaire (rendez-vous ici) ou nous faire un don.

Sommaire du dossier Bio commerciale et bio paysanne paru dans Lutopik #5 :

Les deux visages de l'agriculture bio, page 4

Le bio prend du volume, page 7

Labels, le bio et le moins bio, page 10

L’éthique sans le label, page 13

Poulets bio à la sauce Duc, page 14

Biocoop à l'épreuve du business, page 16

Permaculture : l'agriculture de demain ?, page 18