Herboriste : un métier à risques

Officiellement, les herboristes n’existent pas. Depuis 1941, date de la suppression du diplôme, la profession est entrée dans un vide juridique. L’Ordre des pharmaciens veille jalousement sur son monopole de commercialisation des plantes médicinales et attaque régulièrement en justice celles et ceux qui tentent d’empiéter sur ses plates-bandes, quand bien même ils sont titulaires d’un diplôme de pharmacien.  

Marie Laresche est pharmacienne de formation. Elle exerce chaque jeudi, à la pharmacie de Gilley, un village du Haut Doubs, où elle gère plus spécifiquement le rayon herboristerie. Le reste de la semaine, elle travaille avec son compagnon Baptiste Riot chez Menthe et Mélisse, une petite société de production et de transformation de plantes aromatiques et médicinales qu’ils ont créée il y a un peu plus d’un an. Dans la pharmacie, Marie est herboriste et elle peut délivrer des conseils ou des informations sur les caractéristiques d’une plante de son stock. Mais elle n’en a plus le droit quand elle prend la casquette Menthe et Mélisse. La loi est ainsi faite : les pharmaciens exerçant en officine sont  les seuls à pouvoir commercialiser des plantes pour leurs propriétés médicales.

Dans l'illégalité

La profession d’herboriste, qui consiste à préparer des plantes pour un usage médical, a depuis toujours connu des difficultés. Dès le 13ème siècle, la puissante corporation des apothicaires et des épiciers affaiblit les herboristes. Les premiers,  qui bénéficient d’un commerce prospère et de riches clients, achètent les bannières leur permettant de contrôler la préparation et la vente de plantes médicinales. Les herboristes, qui ont une clientèle plus populaire et, plus pauvre, vendent leurs produits sur les marchés. Ils sont cantonnés à une médecine de seconde zone. Au 17ème siècle, les apothicaires et les épiciers multiplient les procès contre les herboristes pour défendre l’énorme monopole dont ils disposent, qui va des huiles aux poids et mesures en passant par le sucre et les plantes médicinales. En 1803, l’interdiction de la vente des plantes médicinales en dehors des boutiques porte un nouveau coup dur aux herboristes. Mais c’est en 1941 que sonne le glas de la profession, quand le gouvernement de Vichy supprime le diplôme d’herboriste. Seuls ceux qui sont déjà en activité peuvent continuer d’exercer sous ce titre jusqu’à leur mort. 

Aujourd’hui, les rares herboristes toujours en vie sont à la retraite, et la dizaine de boutiques en France qui affichent encore « herboristerie » sur leur devanture sans être des pharmacies sont dans l’illégalité. Mis à part les pharmaciens en officine, personne n’est autorisé à vendre une plante en tant que remède. Marie et Baptiste ne peuvent ainsi pas noter sur leurs sachets de tisanes qu’elles facilitent le sommeil ou la digestion. Comme la plupart des producteurs et vendeurs de plantes médicinales, ils doivent donc jouer avec les mots, ce qui  explique la profusion de tisanes « bonne nuit » ou « rêverie ». 
« C’est de la pure hypocrisie. On a le droit d’écrire dans un ouvrage que la Reine des prés est anti-inflammatoire, mais on ne peut pas l’inscrire sur les tisanes », peste Dominique Passe qui tient « l’Art-tisanerie » à Mijoux (Jura). Sa boutique s’appelait jusqu’à peu « l’Herboristerie du Taconet », mais ce « docteur en pharmacie » (il n’a pas le droit de se dire pharmacien puisqu’il ne travaille pas en pharmacie) a dû en changer le nom puisque seules les pharmacies peuvent utiliser ce terme. Pour ne pas être hors-la-loi, certains rebaptisent donc leur activité en « tisanerie » ou « herbalisterie ».

Au-delà de l’usage restreint du vocabulaire, ceux qui veulent commercialiser des plantes médicinales se heurtent à de très nombreuses contraintes. Dominique Passe s’est ainsi retrouvé récemment en garde à vue pour « délivrance de substances dangereuses » car il proposait des plantes interdites à la vente hors pharmacie. En effet, seules 148 plantes sont autorisées, une quantité infime au regard de ce que peut offrir la nature. Pour l’Ordre national des pharmaciens, ces restrictions s’expliquent par « les dangers avérés pour la santé publique en cas de mésusage de ces produits ». Pourtant, seule une cinquantaine de plantes (sur 1.500 espèces médicinales) sont vénéneuses. Et celles-ci sont déjà répertoriées sur une liste à part. Il serait donc facile d’en interdire la vente tout en autorisant la commercialisation des autres espèces, rétorquent nombre de producteurs et distributeurs de plantes médicinales. Quant aux interactions possibles avec d’autres médicaments, des mises en garde sur les boîtes médicamenteuses ou un conseil délivré par une personne compétente permettraient de les éviter. Pour beaucoup, l’argument sécuritaire ne tient donc pas. D’autant que les huiles essentielles sont vendues librement (voir encadré), « alors qu’elles sont beaucoup plus dangereuses que les tisanes », rappelle Sylvie Bonnefoy, productrice et cueilleuse de plantes à « L’herberie jurassienne ». 

Un monopole de tiroir-caisse

La raison du monopole de la Pharmacie sur les plantes médicinales et des prescriptions serait surtout à chercher du côté économique. Depuis les années 2000, l’engouement pour les remèdes naturels ne cesse de croître, renforcé par les récents scandales sanitaires et médicaux. Pour preuve, le succès des écoles proposant des formations en plantes médicinales: « depuis 10 ans, le nombre d’élèves inscrits aux formations longues de l’école des plantes de Lyon a doublé voire presque triplé », rapporte  Patrice de Bonneval, directeur de cette école et ancien tenant de l’herboristerie de la Croix-Rousse. Une aubaine pour les pharmaciens qui protègent jalousement leur monopole, même si ce secteur ne les intéresse bien souvent que modestement. La formation en phytothérapie est quasiment absente du cursus des pharmaciens, sauf à choisir les options adéquates. « Ce n’est pas un monopole de compétences mais de tiroir-caisse », résume Michel Pierre, directeur de l’Herboristerie du Palais Royal, implantée au cœur de Paris. 

Comme plusieurs de ses confrères, Michel Pierre a été accusé par le Conseil de l’Ordre des pharmaciens et celui des médecins d’exercice illégal de la pharmacie et de la médecine (pour conseils donnés). Lors de ces procès (une dizaine en 20 ans), les attaques sont toujours les mêmes : utilisation du terme herboriste, énonciation d’allégations santé, et vente de plantes inscrites au monopole de la pharmacopée. L’issue en est toujours incertaine : des commerçants de plantes médicinales ont remporté la bataille après plusieurs années de procédures tandis que d’autres l’ont perdue. Michel Pierre fait partie de la seconde catégorie, mais malgré son amende, il n’a pas renoncé à exercer son métier. « Les herboristes ont peur. Ils se demandent quand les flics vont débarquer chez eux », souligne Thierry Thévenin, porte-parole du syndicat des Simples, le syndicat des producteurs-cueilleurs de plantes aromatiques et médicinales, et auteur de « Plaidoyer pour l’herboristerie ». 

Récemment, la législation a été un peu assouplie puisqu’environ 500 plantes ou parties de plantes (racines ou feuilles par exemple) sont sorties de ce monopole pharmaceutique, à condition toutefois d’être vendues en tant que compléments alimentaires. Or « les plantes sèches ne sont pas considérées comme des compléments alimentaires. Il faut les réduire en poudre et les mettre dans des gélules pour qu’elles le deviennent », explique Dominique Passe. Pour ces compléments alimentaires, « les indications physiologiques sont autorisées mais pas les conseils thérapeutiques. On peut par exemple écrire « facilite la digestion » mais pas « lutte contre les troubles digestifs », explique Thierry Thévenin. 

Savoir populaire en danger 

Cet assouplissement législatif ne change pas grand-chose pour les petits producteurs et vendeurs de plantes médicinales. « La dérive de cette loi, c’est qu’elle favorise les formes industrielles. Or dans les grands magasins, la gamme des plantes est réduite », dénonce Thierry Thévenin. Car la grande distribution s’intéresse de près aux compléments alimentaires. Moins encombrants et moins périssables, ils sont plus rentables que les tisanes. Le risque est grand de voir nombre de plantes médicinales tomber dans l’oubli, et avec elles, tout un pan de connaissances médicales ancestrales. 
De nombreux acteurs des plantes médicinales tentent donc depuis plusieurs années de faire reconnaître le métier d’herboriste. En 2011, une proposition de loi avait été déposée sans succès par le sénateur socialiste Jean-Luc Fichet pour recréer le diplôme d’herboriste et encadrer cette profession. Mais pour Thierry Thévenin, « cette loi instituait une pharmacie bis, avec un monopole de l’herboriste pour la vente des plantes sous le contrôle de l’Afssaps » (devenue depuis l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé). Selon lui, les plantes et les savoirs qui s’y associent doivent rester dans le domaine public. Les tractations vont bientôt débuter puisqu’en  septembre, le sénateur Europe Ecologie les Verts Joël Labbé commencera des auditions afin de soumettre une nouvelle proposition de loi d’ici 2016. 

Mais le sujet est plus complexe qu’il n’y parait. Au-delà du refus du lobby pharmaceutique de sortir de leur monopole, les professionnels des plantes médicinales sont assez partagés sur la pratique de l’herboristerie. Si la plupart souhaitent la création d’un diplôme reconnu, certains souhaitent un diplôme en cinq ans minimum, d’autres imaginent une formation plus courte, certains veulent le rendre obligatoire pour avoir le droit de vendre des plantes et d’autres non, etc. Et derrière la reconnaissance de la profession d’herboriste, il y a aussi la question de la préservation d’un savoir populaire accumulé au fil des siècles et de la possibilité de transmettre la connaissance d’une médecine plus douce qui utilise des plantes que l’on peut ramasser dans les champs ou en bord de chemins.  
Sonia

Les huiles essentielles en vente libre

Obtenues généralement par distillation, les huiles essentielles concentrent les principes actifs des plantes. Ce sont des produits beaucoup plus puissants que les tisanes ou les compléments alimentaires, et leur utilisation requiert des connaissances et des précautions. Elles peuvent par exemple provoquer des brûlures ou des effets indésirables quand elles sont appliquées ou ingérées en trop grosses quantités ou avec une mauvaise combinaison. Pourtant, contrairement aux plantes sèches, les huiles essentielles sont en vente libre. Elles échappent au monopole des pharmaciens car elles dépendent du secteur de la parfumerie, et tout un chacun peut les commercialiser. 


La "qualité pharmaceutique" 

Pour être vendues en pharmacie, les plantes médicinales doivent être labellisées « Qualité pharmaceutique ».  Cette certification est là pour garantir la variété commercialisée, sa pureté et sa traçabilité. Assez chère, elle n’est accessible qu’aux gros producteurs ou revendeurs de plantes. Mais pour beaucoup de petits producteurs et d’herboristes, cette « qualité pharmaceutique » est « une grosse supercherie », comme la qualifie Marie Laresche. Elle accepte par exemple les plantes irradiées pour conservation et n’exige pas de label d’agriculture biologique. « On tombe parfois sur des plantes récoltées quatre ans auparavant », dénonce ainsi Aline Mercan, anthropologue et médecin phytothérapeute en Haute-Savoie qui s’est formée à l’usage médical des plantes.  De plus, la logique industrielle de ces plantes labellisées « qualité pharmaceutique » peut conduire à une mauvaise rémunération des cueilleurs à l’étranger pour une récolte de  moins bonne qualité. « Sur les plantes chinoises par exemple, il y a parfois sept ou huit intermédiaires. La traçabilité est peu précise. Des lots sont parfois mélangés, il y a une opacité sur ce qui se passe en amont. D’autres labels, comme celui des Simples, sont gage de qualité », estime-t-elle.

 


Photo de UneMichel Pierre, gérant de l'herboristerie du Palais Royal à Paris, a été poursuivi en justice pour exercice illégal de la pharmacie.


Cet article a initialement été publié dans le magazine numéro 7 paru en juin 2015. Pour le commander, ou vous abonner, rendez-vous ICI

Commentaires

Bonjour. pouvez vous me dire si la publication d'études sur les plantes en France permet une édition indiquant les pathologies, la posologie, les conte indications des plantes médicinales de la liste des 148 plantes reconnues, et des autres? J vous en remercie par avance. Roger Lung.

Je vais apporter une preuve, non scientifique mais réelle, sur mon problème "oedème maculaire, suite à un passage, trop rapide, à l'insuline...je fus surveillé par des ophtalmologues avec, de surcroît, des injections dans les yeux. Je ne vous parle pas des appréhensions soient mensuelles ou trimestrielles, sans résultats probants. Sachant, depuis ma grand-mère, que les propriétés du myrtillier étaient, dans une époque révolue, efficaces, je décidais de boire des infusions de feuilles de myrtillier.... et après , environ, dix mois, ma vue se stabilisait à 4 dixièmes (1 dixième après injections) et la cataracte diminuait. Donc, donc, cette épreuve, je continue à boire mes "feuilles de myrtillier", et j'en suis satisfait....en ce moment j'essaie de trouver "des plantes" contre le diabète insulino-dépendant, espérant me sortir de la médecine conventionnelle...