Prisons : les travailleurs de l'ombre

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Des travaux forcés à l'oisiveté subie, de la souffrance au travail comme partie intégrante de la peine au travail comme récompense et gage de réinsertion : le travail en prison reste méconnu.

Du quart au tiers selon les sources, il est assez difficile de connaître précisément la proportion de personnes qui travaillent derrière les barreaux. Seule certitude : beaucoup plus aimeraient y avoir accès. Il existe plusieurs sortes de travail en détention. Le service général concerne toutes les tâches internes qui contribuent au fonctionnement de l'établissement (ménage, buanderie, cuisine...), et le travail de production réalisé soit pour le compte de la RIEP, la Régie Industrielle des Établissements Pénitentiaires (fabrication de produits pour les administrations comme du mobilier urbain, charlottes pour les hôpitaux et même les uniformes des surveillants) soit pour des entreprises privées. Il s'agit le plus souvent de tâches répétitives, non qualifiées, de conditionnement, de façonnage ou de manutention.

En prison, il n'y a pas de contrat de travail mais, un « acte d'engagement », signé par le chef d'établissement et la personne détenue. Sans contrat, les détenus ne bénéficient donc pas des droits qui y sont relatifs et sont placés en dehors du cadre d’application du code du travail : pas de règles de procédure d'embauche et de licenciement, pas d'indemnité en cas de chômage, de maladie ou d'accident, pas de congés payés, pas de droit syndical. Seules les règles d'hygiène et de sécurité s'imposent. La prison reste donc aussi dans ce domaine une zone de non droit.

Un seuil de rémunéraion non respecté

La seule règle qui vient encadrer les rémunérations précise que la rémunération du détenu ne peut être inférieure au taux horaire fixé par décret selon un pourcentage allant de 20 à 45 % du SMIC horaire brut, selon le type de travail effectué. Cependant il existe un monde entre le texte et la réalité. Le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Libertés a déjà eu l’occasion de dénoncer une non application de ce texte dans certains établissements. Dans son rapport 2011, il déplore que « ce seuil minimum de rémunération (SMR), malgré son appellation », constitue « au mieux le plus souvent un maximum », ou « une moyenne idéale à atteindre ».

En 2010, le salaire moyen des détenus était de 343 €. Cette dérogation est d'autant plus paradoxale, que les caisses d'assurance vieillesse appliquent aux détenu-e-s les règles de droit commun. En comparaison, en une année de travail une personne rémunérée au SMIC peut valider quatre trimestres tandis qu'un détenu ne peut en valider qu’un, éventuellement deux. Si le service général est celui qui emploie le plus, c'est aussi celui qui paie le moins : 253 € en moyenne par mois en 2012. En revanche, les détenus sont assurés d'un travail journalier. En ce qui concerne le travail en atelier pour des entreprises, les rémunérations peuvent tourner autour de 400 € par mois. Mais ceci est biaisé dans le sens où les détenu-e-s sont souvent payé-e-s à la pièce et que les contrats peuvent être de très courte durée, parfois même de quelques jours. Le travail pour le RIEP est le travail le plus qualifié et le plus rémunéré (562 €), mais c'est aussi le plus minoritaire. 

Pour les détenus, le travail est nécessaire afin de pouvoir cantiner (système d'achat en détention), payer la télévision, l'avocat, la partie civile, mettre de l'argent de côté pour la sortie, voire envoyer de l'argent à la famille. Mais c'est aussi plus concrètement un moyen de sortir de sa cellule et une chance d'obtenir des réductions de peine supplémentaires, donc de sortir plus tôt. L'Administration pénitentiaire de son côté loue les vertus du travail dans la « lutte contre la récidive », car cela permettrait de « faciliter le retour à la vie active ». Mais dans ces conditions, il s'agit plutôt d'un outil de gestion. La journée, les détenus sont occupés, le soir ils sont fatigués. C'est aussi un moyen de pression très fort, puisqu'ils peuvent être déclassés (licenciés) pour un problème disciplinaire qui n’a rien à voir avec leur emploi. Pouvoir obtenir un travail dont les places sont chères et vouloir le conserver constitue une excellente carotte pour faire régner l'ordre en détention. Pratique.

cleprison.gifLes entreprises aussi y trouvent leurs comptes : prix compétitifs, délais imbattables, charges patronales allégées, absence de jours fériés et de vacances. Les firmes proposent en général des activités nécessitant un important volume de main-d’œuvre disponible par intermittence (pliages de couronnes des rois, conditionnements de cotillons, packaging pour offres promotionnelles...). Les entreprises gèrent leur production à flux-tendu, interrompent et reprennent l'activité à leur guise, et tout ça sans la moindre indemnité à verser. De plus, les ateliers sont mis à disposition gracieusement. L'Administration pénitentiaire parle même de « délocalisation utile » dans ces brochures. Le décalage horaire et les frais de transport en moins. En France, seuls les ESAT (établissement employant des handicapées) peuvent rivaliser. On comprend pourquoi certains secteurs tels que la confection, la cosmétique ou l'automobile sous-traitent aux prisons.

Les noms de certaines grandes marques reviennent : BIC, Agnès B, EADS, Renault, La Redoute, La Maison de Valérie, ou encore L'Oréal (même si sa charte éthique met en avant l'interdiction de faire travailler des enfants et des prisonniers). Ce qui marche en ce moment, ce sont les centres d'appels. Si certaines entreprises assument recourir au travail en détention en évoquant un but social (sic), les autres prétendent ne pas être au courant et se retranchent derrière leurs sous-traitants. 

Le travail en prison devant les prud'hommes

Plusieurs affaires concernant le statut du travailleur détenu au regard du droit du travail ont été portées devant la justice récemment. Les Prud'hommes ont ainsi donné raison à des détenus suite à une contestation de licenciement et des rappels de salaire égaux à la différence des sommes perçues pour le travail accompli et le SMIC. Ces décisions ont été perçues comme un séisme juridique dans le milieu carcéral. Ainsi, on a reconnu que les relations de travail entre les détenu-e-s et les entreprises correspondaient bien à la définition jurisprudentielle du contrat de travail, à savoir une rémunération, une prestation de travail et un lien de subordination. La différence de traitement entre les salariés libres et détenus relèvent bien d'une discrimination.

Les conditions semblaient donc être réunies pour une réforme. Mais déception, la décision du Conseil constitutionnel du 14 juin 2013 anéantit presque les espoirs de l'application d'un droit du travail en prison. A la question de savoir si le fait d'exclure les détenus du code du travail est conforme à la Constitution et respecte le principe d'égalité devant la loi, il répond que oui. L'absence de contrat de travail n'est donc pas en soi contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution. Soit. Il renvoie cependant quand même le législateur à ses responsabilités en soulignant qu'il était libre de modifier les dispositions relatives au travail des détenus afin de renforcer la protection de leurs droits. 

S'il reste difficile d'appliquer en prison l'ensemble du Code du travail (avec ses comités d'entreprises obligatoires...) l'absence de droits et de protection ruine la conception même du travail pénal comme outil d'insertion. C'est pourquoi il est essentiel d'en appliquer une partie, la plus large possible. Quels dangers à laisser exercer des droits collectifs dans un lieu fermé et sous contrôle ? Pourquoi ne pas rémunérer le travail à sa juste valeur puisque cela est un pilier essentiel tant pour l'intérieur que pour la sortie de prison ?
Mais outre des modifications nécessaires dans ce domaine, le statut du détenu travailleur questionne plus largement le travail pénitentiaire dans son ensemble, qui permet actuellement l'exploitation, avec la bénédiction de l'Etat, sous couvert de réinsertion.

Texte : Crabo et Orane

Dessins: Imagier des prisons