Le réveil de la lutte des classes ?

Dans un contexte de casse du droit du travail et de chômage de masse, deux films viennent rappeler que la lutte n'est pas vaine. Et s'ils redonnaient un peu du souffle manquant pour transformer la bagarre contre la réforme du travail en l'une des plus fortes mobilisations sociales de ces dernières années ?

Ce sont deux films qui sortent à quelques semaines d’intervalle dans les salles de cinéma et qui pourraient avoir plus d’impact qu’il n’y paraît. Le film Comme des lions, réalisé par Françoise Davisse, suit de l’intérieur la contestation d’ouvriers de l’usine PSA d’Aulnay contre le plan de fermeture du site. Au total, 3.000 personnes sont menacées de licenciement. Quelques centaines de salariés, essentiellement des ouvriers, s’engagent alors dans un bras de fer de deux ans avec la direction de l’entreprise. Piquets de grève, manifestations, actions coups de poing... Une lutte intense, jusqu’à l’occupation finale de l’usine pendant quatre mois, qui n’a néanmoins pas suffi à empêcher la fermeture du site. Plus que le conflit social en lui-même, c’est l’aventure collective vécue par les grévistes et la solidarité qui en découle que relate Comme des lions.

D’analyses en décryptages du plan prévu par la direction, les salariés vont se découvrir des talents d’experts de leur propre situation. Le documentaire met en lumière la capacité d’organisation des syndicats et des ouvriers de PSA pour faire durer la lutte sur le long terme. « On a commencé la grève en pensant tenir trois ou quatre jours maximum, mais on n’avait jamais imaginé pouvoir occuper le site pendant quatre mois. En plus de s’être battus pour quelque chose de concret, on a vécu une expérience humaine très forte. J’ai passé les quatre meilleurs mois de ma vie ! », avoue Jean-Pierre Mercier, porte-parole de la CGT et un des leadeurs de la contestation.

 Dans un autre style, Merci patron ! prend la forme d’un documentaire militant dans lequel François Ruffin, rédacteur en chef du journal Fakir, vient à la rescousse d’un couple d’ex-employés du groupe LVMH. Serge et Jocelyne Klur, licenciés suite à la délocalisation de leur usine en Pologne, sont à deux doigts de se faire saisir leur maison. Avec le couple, le journaliste se lance alors dans une mission improbable : obtenir le remboursement de leurs dettes par Bernard Arnault, le PDG de la multinationale. Mené sur le ton de l’humour, le film ressemble à une vaste farce faite à l’homme le plus riche de France. Il pourrait surtout donner des idées à ceux qui voient les grands patrons comme étant intouchables. « Si cela remet en vie les militants et les syndicats, c’est déjà ça. Mon but avec Merci Patron ! était de redonner le goût de se battre, de l’imagination dans la lutte. Mais de là à toucher les masses, c’est une autre paire de manches ».

Enrayer la vague néolibérale

Ces deux objets cinématographiques sont-ils le point de départ d’un renouveau de la contestation de masse ? Dans les deux cas, ces histoires sont celles d’ouvriers en proie à la fermeture d’une usine, de leur usine, au sein de laquelle ils n’ont pas ménagé leur peine. Elles mettent aussi en lumière la possibilité de militer de manière différente, à travers le collectif dans un cas, et le rire dans l’autre. Si la révolte sociale ne s’est jamais faite dans les salles obscures, la sortie de ces deux films et leur succès rencontré lors des avant-premières peuvent servir de catalyseur. Ils interviennent en effet dans un contexte particulièrement morose et angoissant pour les travailleurs. Selon le psychologue Christophe Dejours, « le néolibéralisme a favorisé la concurrence, voire une haine, entre les salariés ».

Pour ce spécialiste de la souffrance au travail, cette question est avant tout le signe d’un échec du politique. « Le travail est de plus en plus médicalisé, psychologisé, ce qui le dépolitise », a-t-il expliqué lors du festival Filmer le travail à Poitiers, fin janvier 2016. « La lutte des classes a été réduite à des questions individuelles, le mouvement ouvrier a mis de côté les questions de classes au profit du corps ». Pour le chercheur, le tournant se situe dans les années 1980 avec l’apparition d’une gestion managériale du travail. « À cette époque, les ingénieurs ont été remplacés par des gestionnaires. La priorité a été donnée aux performances, aux objectifs à atteindre. On assiste donc depuis trente ans à une normalisation des tâches et à une concurrence entre les salariés qui est à l’origine d’un mal-être profond ». Face à cet individualisme, le travail peut aussi montrer ce qu’il a de meilleur, en favorisant la solidarité entre travailleurs : « Il faut résister à la vague néolibérale en faisant le pari de la coopération », veut croire Christophe Dejours.

La Loi travail, le déclic ?

« On est à la veille d’un mai 68 ! » Lancée comme une provocation par Gérard Filoche, membre du bureau national du PS et ancien inspecteur du travail, cette envolée pourrait pourtant résumer le climat qui règne actuellement en France. L’attaque sans précédent du droit du travail menée par la loi El-Khomri est sans doute celle de trop. L’occasion de ranimer un mouvement social affaibli et de créer la « jonction de classes », chère à François Ruffin. « Certains comme Frédéric Lordon disent que cette loi va mettre le feu aux poudres. Moi je ne crois pas que le feu parte de lui-même. Ce n’est pas le barème des indemnités prud’homales qui va faire sortir le monde ouvrier dans la rue ».

Le journaliste veut avant tout renouer le lien entre la petite bourgeoisie intellectuelle et les classes populaires, et pour cela, le cinéma lui semble un bon moyen. « À l’automne 2010 à Amiens, les manifestations contre la réforme des retraites ont pris un tour original. On a proposé aux gens du centre-ville de venir occuper la zone industrielle avec les ouvriers. Pendant quelques jours, on a réussi cette jonction. De manière plus générale, la question qui se pose est de savoir s’il y a encore un lien populaire, profond, entre les militants et les classes populaires ».

Clément Barraud


Cet article a été initialement publié dans le numéro 10. Vous pouvez commander votre numéro (4 €) ou vous abonner (15 €) sur cette page.