Sciences : un enjeu de société

Les sciences, ou plutôt les innovations qui en découlent, irriguent notre quotidien. Médecine, agriculture, communication, énergie ou même textile, aucun pan de nos vies n’échappe à la technique. Pourtant, le citoyen reste à l’écart des orientations de la recherche ou des choix scientifiques.

Depuis toujours, les sciences apportent des connaissances sur le monde qui nous entoure, cherchent des explications aux phénomènes naturels, façonnent le « progrès » en inventant de nouvelles technologies. Longtemps pratiquées par des amateurs, des touche-à-tout devenus savants, elles atteignent aujourd’hui une telle complexité que seuls des hyper spécialistes peuvent en maîtriser les concepts. Les sciences et les nouvelles technologies n’ont pourtant jamais été aussi présentes dans nos vies, ouvrant des perspectives dans tous les domaines, modifiant nos gestes et nos habitudes, conditionnant nos façons de penser et d’agir.

L’omniprésence des technosciences dans notre quotidien a fait surgir des débats qui dépassent les seules controverses scientifiques (OGM, nucléaire, cellules souches, changements climatiques, etc.) et qui intègrent des enjeux éthiques, économiques, politiques et sociétaux. Ces transformations s’accompagnent d’une suspicion croissante du public envers les chercheurs. Les scandales scientifiques des dernières décennies (fausses publications, risques sanitaires connus mais ignorés, lanceurs d’alerte cloués au pilori, etc.) ont jeté le trouble sur la communauté scientifique, soupçonnée de rechercher le profit avant de servir l’intérêt général.

Guidées par les financements disponibles distribués par l’Europe, l’État ou les grandes sociétés, qui attendent un retour sur investissement rapide, les recherches semblent déconnectées des enjeux sociétaux. Même le CNRS le reconnaît : si les « chercheurs eux-mêmes sont souvent motivés avant tout par la production de la connaissance, toujours convaincus qu’ils contribuent à un bien commun (…) ils sont de plus en plus contraints de motiver leurs travaux par leurs retombées rentables dans le monde de la technologie. Or ils ne les maîtrisent pas forcément et le public leur demande des comptes », souligne le Comets, le Comité d’éthique du CNRS, dans un avis publié en juin 2015 sur les « sciences citoyennes ».

Défaut de culture scientifique

Pourtant, dans nos « sociétés technologiques », la culture scientifique n’est pas très développée. Ce manque de connaissances, qui, dans l'imaginaire collectif, semble moins grave qu’un défaut de culture littéraire par exemple, laisse la part belle aux experts et aux lobbys pour trancher sur les questions technoscientifiques auxquelles nous sommes confrontées. Dans ces conditions, comment inclure le citoyen dans les grandes orientations de la recherche ? Comment lui permettre de s’exprimer à propos d’une technologie susceptible de l’impacter ? Comment aborder ces débats pluridisciplinaires avec des non-spécialistes ?

Depuis plusieurs années, un effort certain est consenti pour opérer un rapprochement entre sciences et société. De nombreuses universités mobilisent leurs chercheurs et laboratoires lors d’évènements comme la fête annuelle de la science. Quelques jours après les attentats de Paris, Alain Fuchs, Président du CNRS, a également adressé une lettre aux chercheurs pour leur demander de travailler sur « tous les sujets pouvant relever des questions posées à nos sociétés par les attentats et leurs conséquences », estimant que « la communauté scientifique se voit une fois de plus renvoyée à l’essentiel : comprendre dans le détail et avec toute la profondeur nécessaire les phénomènes qui sont à l’œuvre aujourd'hui ».

Spectateur des sciences

Les sciences participatives, qui consistent à associer les citoyens amateurs aux activités scientifiques, se développent, principalement dans les domaines de la botanique et du climat. L’Europe, via des financements, tente de relancer des Boutiques des sciences, pour faire le lien entre les besoins de recherche de la société civile et le monde académique. Au sein des CCSTI, les Centres de culture scientifique, technique et industrielle, certains renouvèlent l’apport de la culture scientifique, délaissant les conférences faites par le scientifique devant un parterre de profanes, au profit de débats ouverts.

Pour autant, le grand public n’est toujours que le spectateur de la course technologique. Jamais consultés sur les grandes orientations des fonds destinés à la recherche, tenus à l’écart des débats scientifiques au motif qu’ils n’ont pas les compétences pour participer, les citoyens sont condamnés à subir les conséquences d’innovations qu’ils n’ont pas expressément impulsées. Or, si la science est indispensable à l’avancement des sociétés humaines, elle possède également un fort pouvoir de nuisance. Il n’y a qu’à songer aux effets infligés à la planète par l’Homme et ses inventions modernes : les déchets nucléaires oubliés pour l’éternité, l’importante concentration du CO² dans l’atmosphère, la présence de produits chimiques dans le sol et les rivières, la disparition d’espèces, etc. Il serait temps de nous interroger sur nos technologies et de soumettre la science à une véritable critique citoyenne. Bref : d’inventer une démocratie scientifique pour choisir notre futur.

Cet article a été publié dans Lutopik n°9, en décembre 2015.
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