Système de santé en souffrance

Introduction de notre dossier "système de santé en péril", que vous pouvez commander ici.

Peut-on chiffrer la santé ? Bien sûr répondent les gestionnaires, qui évoquent le trou de la sécu et cherchent la rentabilité des établissements de santé, en particulier des hôpitaux sommés de combler leurs déficits. La tarification à l’acte, ou T2A, a désormais concrétisé l'idée que chaque maladie a un coût bien précis. Les financements des hôpitaux dépendent maintenant du nombre et de la nature des soins effectués : 959 € l’appendicite, entre 651 et 2.722 € pour une grippe, 1.806 € une césarienne, 609 € une migraine, etc. Finie la dotation globale de fonctionnement, place à une logique de résultats. Il est facile de comprendre alors pourquoi le personnel est sollicité pour multiplier les actes médicaux et les patients renvoyés assez tôt vers la sortie. La durée moyenne d’un séjour à l’hôpital a ainsi diminué de moitié depuis les années 80, passant de 10 à 5 jours. Les soins ambulatoires, où le patient rentre chez lui le jour même de sa prise en charge, se multiplient. Le nombre de lits disponibles chute dramatiquement et les couloirs des urgences sont saturés.

Les travailleurs hospitaliers sont nombreux à crier leur détresse, ou à l’étouffer dans le silence. Des cas de suicides d’infirmières, reconnus en accident du travail, ont défrayé la chronique ces deux dernières années. Ceux qui sont en poste dénoncent des effectifs trop réduits, une pression accrue, des soins donnés à la chaîne et le manque de temps qu’ils peuvent consacrer à chaque patient. Il est devenu très difficile de leur parler, de les écouter, les réconforter ou tout simplement expliquer ce qu’il se passe. Assurer correctement sa mission dans de telles conditions est compliqué. Le travail perd de son sens et de son humanité parce que l’empathie n’est pas rentable.

Cette évolution n'épargne pas le secteur libéral. À partir du 1er novembre, les tarifs des médecins généralistes et des spécialistes vont augmenter en fonction de la « complexité » de la consultation : le tarif de base reste à 25 €, mais une consultation pour un enfant de 3 à 12 ans en risque avéré d’obésité coûtera par exemple 46 €, l'annonce d'un cancer 60 €... Ces changements ont été décidés fin 2016 après des négociations entre les syndicats de médecins et l’Assurance maladie, qui continuera de rembourser les patients à hauteur de 70 %, ou 100 % pour les personnes atteintes d’affections de longue durée. Le reste pourra être pris en charge par les mutuelles, pour celles et ceux qui en ont une.

Multiples attaques

Si les tarifs de consultation augmentent, la couverture médicale du territoire, elle, diminue. Près de 2,5 millions de personnes vivraient dans 192 déserts médicaux, ces lieux où dénicher un médecin relève de la gageure, que ce soit en ville comme à la campagne. Entre 2007 et 2015, la région Île-de-France a ainsi perdu plus de 1.800 médecins, soit 6 % du nombre total. Paris représente à elle seule 40 % de cette baisse. Pourtant, la France n’a jamais eu autant de médecins en activité. Le pays comptait 216.700 médecins actifs de moins de 70 ans en 2015. Le numerus clausus, le nombre de places ouvertes en médecine après le concours de première année, a largement augmenté ces dernières années. De 3.500 places il y a vingt ans, il est passé à 8.150 pour l’année 2017. Mais encore faudrait-il que ces futurs médecins s’installent là où il y a besoin. Actuellement, un nombre important de praticiens partant à la retraite, en particulier chez les généralistes, ne sont pas remplacés. Si quelques mesures d’incitations financières ont été mises en place ces dernières années pour attirer les jeunes professionnels dans les zones les plus reculées, elles n’ont pas permis de pallier le manque de médecins dans certains territoires.

L'autre péril majeur concernant l'égalité d'accès aux soins vient des attaques incessantes contre notre système de Sécurité sociale, hérité du Conseil national de la résistance. Les cotisations sociales, versées directement par l’employeur aux caisses de solidarité, en son nom ou en celui du salarié, sont dans le viseur des différents gouvernements qui se succèdent. Appelées charges par leurs ennemis, elles font l'objet de baisses régulières. Résultat : la part des cotisations sociales dans le financement de la Sécu diminue continuellement au profit d’un impôt, la CSG, qui est prélevé sur l’ensemble des revenus mais qui est plus inégalitaire. Certains craignent que cela ne porte un grave préjudice à la Sécurité sociale. Autrefois autonome, celle-ci est de plus en plus tributaire de la fiscalité et donc des orientations de l’État. A terme, celui-ci pourrait décider de sa privatisation, totale ou partielle.

Loi du marché

C’est ce qu’il se passe déjà avec les mutuelles, qui ont été pionnières dans la construction de notre système de protection sociale. La solidarité ouvrière s’est organisée au XIXe siècle sur le principe de la cotisation et de la redistribution, ce qui a permis non seulement d’alimenter les caisses de grève, mais aussi les risques liés à la maladie et aux accidents du travail. Le principe est désormais mis en péril par la concurrence lucrative des compagnies d’assurance ou des instituts de prévoyance. Les couvertures deviennent de plus en plus individualisées en fonction du facteur de risque des adhérents et les appels pour intégrer les organismes complémentaires au sein de la Sécu se font sentir de manière plus pressante. Cela pourrait apparaître comme une bonne nouvelle, mais le risque est grand que ce soit leur modèle qui prédomine. Et celui-ci a progressivement tout perdu de son esprit d’origine : la solidarité mutualiste.

Aujourd'hui la politique de santé publique du nouveau gouvernement s’articule autour de trois priorités : la couverture vaccinale, avec l’extension du nombre de vaccins obligatoires, la prévention des maladies liées au tabac, avec le passage à 10 € du paquet de cigarettes dans les prochains mois, et l’accès pour tous aux lunettes, soins dentaires et auditifs en supprimant le reste à charge. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a également confirmé la généralisation du tiers payant pour la partie remboursée par la sécurité sociale, ce qui éviterait d’avancer l’argent chez les médecins, comme le prévoyait la loi de modernisation de notre système de santé adoptée début 2016. Mais toujours rien pour améliorer la qualité des relations entre patients et soignants. Cette donnée reste la grande absente des mesures de santé publique, malgré les alertes lancées par des soignants au bord du burn-out et la méfiance croissante qui s’installe au fur et à mesure qu’éclatent les scandales sanitaires. L'enjeu est de taille : recréer une médecine solidaire et de confiance, alors qu'elle subit de plus en plus les assauts de la loi du marché.

Dessin : Le Poisson


Cet artilcle est l'introduction de notre dossier consacré à la santé, que vous pouvez commander sur cette page

Sommaire

p.4 Initiative : Une ressourcerie multi-services

p.6 Dossier : Système de santé en souffrance

                Entretien avec André Grimaldi

                La promotion bien rodée des médicaments

                L'hôpital au bord du burn-out

               Témoignages : "On sépuise complètement"

               Salarié ou sociétaire : quand le médecin réinvente son métier

              Lyme : une controverse au détriment des malades

              Vaccins : le débat fait rage

p.30 Portfolio : Admirez le travail !

p. 34 A Bure, le sabotage est un acte politique assumé

p. 38 Dossier pub

                Ras la pub !

               Descente anti-pub dans le métro

               Entretien avec Yvan Gradis

p.48 Australie, une terre et des peuples menacés