Pour 3,6 millions d’euros, le Rhône autorise un projet de carrière dans le Beaujolais Vert

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Dans le Rhône, le cimentier Vicat et le Conseil général ont signé en mars dernier un compromis de vente de 83 ha de forêt pour y installer une carrière de granulats. Malgré les efforts pour ne pas médiatiser cette opération juteuse pour le département, le projet a été découvert et la résistance s’organise.

À une trentaine de kilomètres de Lyon, derrière les coteaux du Beaujolais, se trouve un petit territoire aux grandes ambitions. Situé au cœur de la vallée d’Azergues, le « Beaujolais Vert » regroupe quatre communautés de communes, des entreprises et des associations qui ont pour objectif de faire de cette zone « un éco-territoire à l’horizon 2015 », notamment en mettant en place des mesures de préservation de la nature et en développant une filière bois. Un programme qui risque cependant d’être mis à mal par une discrète mais importante décision du Conseil général du Rhône, pourtant partenaire et financeur du Beaujolais Vert. Le département a en effet signé en mars un compromis de vente de 83 ha de forêt avec le groupe Vicat, qui souhaite implanter une carrière de 30 ha à ciel ouvert de granulats, ces éclats de roche utilisés entre autres pour la fabrication du béton. Augmentation du trafic routier, poussières portées par le vent dans toute la vallée, dégradation des paysages, destruction de la forêt et diminution de la valeur immobilière, les perspectives sont loin des vertes ambitions des acteurs locaux.

Une vente discrète

Si le Conseil général du Rhône sacrifie ainsi 83 ha de forêt, c’est que l’opération lui semble rentable. Selon l’Association de Défense et de Développement (ADD) du Beaujolais Vert et du Val d’Azergues, qui regroupe les opposants à ce projet de carrière, le département aurait en effet habilement manœuvré pour rentabiliser au maximum cette transaction. Alors que Vicat souhaitait à l’origine n’acquérir qu’environ 50 ha de zone forestière, le Conseil général du Rhône aurait profité de l’aubaine pour lui vendre aussi le château de Longeval, une encombrante propriété à l’entretien coûteux situé sur l’un des massifs forestiers concernés et rattaché à la commune de Saint-Just d’Avray. Avec 1,18 million d’euros pour le château, 1,12 million d’euros pour la parcelle forestière et une indemnité complémentaire de 1,3 million d’euros versée par Vicat si elle obtient le droit d’exploiter la carrière dans les 5 ans, ce sont donc 3,6 millions d’euros qui tomberont dans l’escarcelle du Conseil général du Rhône, dont 2,3 millions immédiatement. Ce n’est pas mal payé pour une forêt, mais cela semble peu pour un site industriel. « Pourquoi le Conseil Général n'a-t-il pas fait jouer la concurrence ? », s’interroge l’ADD qui a l’impression que le département a, plus que vendu une forêt, « bradé un château et vendu une montagne pour en faire une carrière ».

Un document du Conseil général détaille les conditions de vente et précise qu’elle peut être rompue à deux conditions : soit la société Vicat ne trouve pas dans le sol les matériaux qu’elle recherche (les forages ont déjà commencé mais les résultats ne seront pas connus avant quelques semaines), soit l’ONF refuse de sortir la forêt du régime forestier. Pour que l’ONF accepte, le département s’est engagé à racheter une superficie forestière égale à celle dont elle se débarrasse, c’est-à-dire environ 83 ha.medium_carrière (2).jpg

Malgré la contrainte de la compensation écologique, la somme que percevra le département si la transaction a lieu reste intéressante et peut expliquer la grande discrétion du Conseil général sur ce sujet. En effet, « beaucoup d’élus locaux n’avaient ou n’ont toujours pas connaissance de ce projet », explique Marick Meunier, secrétaire de l’ADD et conseillère municipale de Chamelet, un village voisin. Elle-même n’a été alertée que début mai par des habitants proches de la zone vendue. « Au sein même du Conseil général, certains élus n’étaient pas au courant », ajoute André Clément, président de l’association des opposants à la carrière du Val d’Azergues. Difficile à croire, et pourtant, l’association veut bien l’admettre. Elle l’explique par le fait que « le dossier a été piloté par les services techniques du département et soumis au vote des élus parmi une trentaine d’autres propositions lors d’une Commission permanente du Conseil qui a duré 15 minutes seulement », souligne Marick Meunier, PV de la Commission à l’appui. Les quelques élus au courant, dont la présidente du Conseil général Danielle Chuzeville (UDI) ont eu à cœur de ne pas divulguer l’information, sans doute pour éviter une protestation qui pourrait faire capoter le projet, mais aussi à la demande de Vicat qui craint la concurrence, pense l’ADD du Beaujolais Vert.

Recours auprès du tribunal administratif

Manque de chance pour le département, la nouvelle a quand même fuité, juste à temps pour permettre aux riverains de s’organiser. Quelques jours après avoir découvert la vente du château et de la forêt, une trentaine d’habitants des villages concernés créent l’Association de Défense et de Développement du Beaujolais Vert et du Val d’Azergues et déposent un recours auprès du Conseil Général. Une journée de plus et le délai légal pour un tel recours aurait été dépassé. En l’absence d’une réponse du département, l’association a prévu de déposer un recours en excès de pouvoir auprès du Tribunal administratif pour faire annuler ce projet de vente. Par ailleurs, l’ADD, qui compte près de 700 adhérents, organise des réunions d’information dans les différents villages de la vallée d’Azergues, a lancé une pétition en ligne (qui a déjà recueilli plus de 1.000 signatures) et démarche les élus locaux pour qu’ils prennent position sur ce projet.

En attendant les résultats des forages effectués par Vicat, le Conseil général ne souhaite pas communiquer. Jacques Larrochette, en charge du foncier au Conseil général, nous renvoie vers la Direction générale, qui fait savoir par le service communication qu’elle ne s’exprimera pas pour le moment. Le département refuse également à l’ADD la possibilité de consulter le compromis de vente. L’association a donc dû se tourner vers la CADA, la Commission d’accès aux documents administratifs, qui a indiqué que le Conseil Général était tenu de le fournir. « Si on ne le reçoit pas d’ici fin octobre, au ira à nouveau au tribunal administratif », indiquent les opposants au projet. 

Un château dans la tourmente

medium_chateau longeval.jpgDe son côté, Vicat se refuse également à tout commentaire. Olivier Estèbe, directeur régional de Vicat, explique qu’il s’agit « d’un dossier trop technique pour communiquer, et qui n’en est encore qu’à l’état de gestation. On répondra aux inquiétudes en temps voulu, par la concertation », indique-t-il. Il rappelle également qu’il « y a en France 4 à 5.000 carrières, soit environ une tous les 30km et que les gens qui habitent à proximité ne sont pas plus difformes qu’ailleurs ». Quant au château, il précise ne pas vouloir le détruire et réfléchir « à ce qu’on pourrait en faire ». On imagine cependant difficilement quel pourrait être l’avenir d’un bâtiment situé à deux pas d’un site industriel ICPE (installation classée pour l’environnement).

L’ADD, elle, a imaginé plusieurs pistes pour l’avenir du château, qui accueillait jusqu’à fin 2011 une quarantaine d’enfants de l’association Clair’Joie. Elle propose de le transformer en centre culturel, en résidence seniors ou en site de formation. Des alternatives qui créeraient plus d’emploi dans la région que la dizaine d’emplois que pourrait générer une carrière, mettent en avant les opposants au projet. Et à ceux qui les accusent de s’opposer au projet en mode NIMBY (Not in my backyard soit  « pas chez moi »), l’association répond qu’il « est bien sûr exact que personne ne veut d’une carrière près de chez lui. Mais c’est surtout un projet inutile, car on ne manque pas de granulats, les carrières sont actuellement en sous-production par rapport à leurs capacités puisque de nombreux grands projets d’infrastructures ont été mis à l’arrêt. Ce projet n’est donc pas « d’intérêt général », il sert seulement l’intérêt particulier des actionnaires du groupe Vicat ».

Sonia

Commentaires

Un grand merci pour cet article et cette découverte. Je n'étais pas au courant de ce projet. Je vais diffuser massivement cette précieuse information. CONTINUEZ !!! MERCI