Labels forestiers : un bizness durable

Environ 10 % des forêts mondiales sont certifiées, principalement par FSC ou PEFC. Ces deux labels sont censés garantir que le bois ou ses produits dérivés proviennent de forêts gérées de manière durable et responsable. Ces certifications sont nées d’un compromis entre les industriels et des ONG, mais sur le terrain, la balance penche plus du côté du commerce que de la préservation des forêts.

Il n’est pas rare de voir à l’orée d’une forêt de petites pancartes accrochées aux arbres sur lesquelles on peutparfois lire : « Forêt gérée durablement et certifiée ». En sous-titre : « Pour assurer l’avenir de cette forêt, achetez des produits en bois certifié ». Celles-là sont signées PEFC. On retrouve ensuite ce logo dans les scieries ou les magasins, sur des lames de planchers, du papier, des meubles, des mouchoirs, etc. On peut aussi trouver sur certains emballages le sigle du FSC, une autre certification forestière. Ces labels sont souvent identifiés comme un gage de confiance par les consommateurs, qui croient acheter un produit en bois issu de forêts durablement gérées.

Pourtant, pour les professionnels de la filière bois, ces labels sont avant tout un bizness. Les marchandises estampillées avec des petits arbres verts se vendent de plus en plus, et ils ont l’avantage de verdir l’image des entreprises. Les accusations de greenwashing, cette utilisation marketing d’arguments environnementaux qui n’en sont pas vraiment, sont nombreuses et anciennes. Car FSC et PEFC sont d’abord des marques, pour lesquelles les vues commerciales prennent le pas sur les considérations écologiques. Aucune de ces deux certifications n’est ainsi parvenue à régler le problème de la déforestation, causée par le commerce international de bois, pas plus qu’elles ne freinent la transformation de l’écosystème forestier en plantations de monocultures.

FSC, pour Forest Stewardship Council, ou Conseil de Soutien de la forêt, voit le jour en 1993. C’est un an après la Conférence des Nations-Unies sur l’environnement et le développement de Rio, qui soulignait les problèmes de déforestations dans les forêts tropicales d’Amérique, d’Afrique ou d’Asie. La population commençait à s’en émouvoir et les principales ONG menaient des campagnes de boycott contre les bois tropicaux depuis 1986. Face aux reproches de la société civile, l’Organisation internationale des Bois tropicaux (OIBT), une organisation intergouvernementale, met d’accord ses partenaires sur le principe d’un système volontaire d’éco-certification du bois. C’est dans ce contexte que WWF lance FSC, avec d’autres ONG comme Greenpeace. Cette initiative a reçu l’appui de la Banque mondiale et de professionnels de la filière bois. « Les industriels eux-mêmes ont donc directement participé au compromis trouvé par l’OIBT sur l’éco-certification. Le fait de ne pas conclure d’entente avec les grandes ONG écologistes, les moins radicales, aurait eu des conséquences beaucoup plus graves sur leur activité », analyse un article de la Revue Forestière. Le commerce du bois se poursuit donc dans un climat plus serein, tandis que les standards du FSC deviennent les conditions pour accéder au marché porteur des bois certifiés.

Des standards différents selon les pays

Le système de gestion responsable du FSC est basé sur 10 principes : respect du cadre règlementaire, légalité de la propriété foncière, respect des droits des peuples autochtones, respect du droit des travailleurs, prise en compte des services environnementaux et sociaux de la forêt, réduction de l’impact humain, établissement d’un document de gestion, suivi de la gestion et de ses impacts, maintien des forêts à haute valeur de conservation et aménagement des plantations comme un complément à la gestion des forêts naturelle. Ces standards sont ensuite adaptés aux contextes nationaux.

L’engouement pour ce marché pousse les propriétaires et les industriels du vieux continent à créer en 1999 le Programme européen des forêts certifiées (PEFC). « Nous avons monté PEFC en réaction à la certification FSC qui ne convenait pas à la forêt européenne, largement privée et morcelée », plaide Stéphane Marchesi, le secrétaire général de PEFC France. PEFC s’ouvre pourtant très vite à l’international, en se renommant en 2001 « Programme de reconnaissance des certifications forestières ». S’il est vrai que les forêts ne se ressemblent pas d’une région à l’autre, la création de PEFC répond aussi à d’autres ambitions. « Après avoir admis que la certification devenait une réalité du marché, ils ont refusé de se soumettre aux exigences des ONG, considérant que c’était aux professionnels de définir les règles », écrivent deux chercheurs de AgroParisTech et de l’Université de Nice Sophia Antipolis dans une publication

Le système de gouvernance de FSC peut en effet paraitre trop contraignant pour l’industrie. Il repose sur trois chambres disposant du même nombre de voix : une économique (propriétaires, exploitants, entreprises de transformation, distributeurs…), une sociale (syndicats de travailleurs, associations de défense des peuples autochtones, des consommateurs…) et une environnementale (ONG, scientifiques…). « Ce système reflète les objectifs du développement durable, il est basé sur l’équilibre entre les trois fonctions de la forêt », explique Guillaume Dahringer, directeur technique de FSC France. S’il se revendique aussi du développement durable, PEFC ne donne pas le même poids à ces composantes. Les décisions sont prises par trois collèges, celui des producteurs (propriétaires ou leurs représentants nationaux), celui des transformateurs (tous les industriels du secteur) et celui des usagers de la forêt, qui noie la seule organisation environnementale à soutenir PEFC, France nature environnement (FNE), parmi l’assemblée des départements de France, celle des chambres d’agriculture, le comité 21, la fédération nationale des chasseurs et celle des sociétés des amis des forêts. Deux collèges sur trois représentent des intérêts économiques, contre un seul qui représente différentes composantes de la société civile. Le déséquilibre porte préjudice à l’écologie et au social, au profit du commerce.
PEFC s’appuie lui aussi sur des « méta-standards », qui sont ceux de la conférence ministérielle d’Helsinki de 1993 pour la protection de la forêt en Europe. Les six critères alors reconnus pour une gestion durable des forêts sont : la conservation et l’amélioration des ressources forestières, le maintien de la santé et de la vitalité de ces écosystèmes, l’encouragement des fonctions de production des forêts, la protection du milieu pour les sols et l’eau et le maintien de ses fonctions socio-économiques. PEFC laisse une grande marge de manœuvre à ses filières nationales, et peut englober des certifications existantes sur la base d’une reconnaissance mutuelle.

Mais comment cela se traduit-il sur le terrain ? Ces deux labels ont assurément amélioré certaines pratiques forestières, surtout dans les pays qui ne disposent pas d’une législation solide sur le sujet. Ils garantissent une régénération de la ressource en bois par la plantation d’arbres, mais les forêts certifiées ne se distinguent pas beaucoup des autres forêts de production. Les deux labels autorisent la mise en place de grandes surfaces industrielles de monoculture gagnées sur des forêts anciennes et les coupes rases ne sont pas proscrites. La production et la consommation de bois certifiés sont encouragées, ce qui se traduit par plus de pression sur la ressource. Tout cela dans le cadre d’un marché qui profite surtout au nord et qui continue de désorganiser la gestion des forêts du sud au profit des industriels.

On peut citer le fait que FSC prévoit de classer hors zone de production 10 % de la forêt, ce qui revient à établir des zones de conservation. Mais cette pratique est critiquée puisqu’elle permet de faire à peu près ce que l’on veut dans les 90 % restant. L’exploitation des forêts FSC est aussi censée respecter les droits légaux et coutumiers des peuples autochtones. PEFC, lui, ne va guère au-delà de la législation. En France, il donne quelques chiffres ou suggestions, comme la recommandation de laisser au moins un arbre mort et un arbre à cavité par hectare, de « tendre vers une taille des coupes rases d’un seul tenant » inférieure à 2 hectares en zone de forte pente et 10 ha ailleurs. Il préconise aussi de laisser du bois mort par terre pour enrichir le sol et de ne pas recourir aux engrais et fertilisants, mais sans l’interdire formellement. 

Un parking certifié PEFC

Les cas avérés de pratiques forestières incompatibles avec une gestion « durable » ne sont pas rares, que ce soit dans des forêts certifiées FSC ou PEFC, pour qui les critiques sont encore plus vives. Mise à part FNE, presque toutes les associations écologistes dénoncent une supercherie. L’association Les Amis de la Terre mentionne dans un communiqué daté de 2010 qu’en Tasmanie, « les forêts primaires sont rasées, incendiées au napalm et écocertifiées PEFC ». L’association australienne The Wilerness Society dit avoir reçu un document qui révèle que les entreprises forestières et l’Australie s’étaient entretenues avec PEFC, contre rémunération, sur le plan de communication à adopter face aux ONG. Plus anecdotique, mais révélateur du fonctionnement de PEFC, un habitant du plateau de Millevaches a réussi la même année à faire certifier un parking et une station-service, voir à ce sujet l'article du journal IPNS ainsi que ce documentaire de Télé Millevaches. PEFC n’avait pas vérifié si les parcelles déclarées correspondaient bien à de la forêt. De plus, ce label s’obtient dès 70 % de matière bois certifié PEFC dans la composition d’un produit.

FSC a la réputation d’être plus fiable et contraignant, mais cette certification n’échappe pas aux polémiques. Un reportage, lui aussi datant de 2010, mené par des journalistes belges, démontre par exemple l’impact d’une culture d’eucalyptus de 100.000 ha certifiée FSC au Brésil. L’entreprise de papèterie Veracel a planté en monoculture cette essence exotique sur de la forêt existante ou sur des terres de pâture achetées aux petits paysans, qui se retrouvent aujourd’hui démunis. Veracel utilise des insecticides et des herbicides pour se débarrasser de la végétation locale. Cette affaire avait un peu valeur de test pour les associations écologistes qui attendaient de savoir si l’entreprise pourrait continuer à adhérer à FSC. Le label réplique en menant son enquête, qui incrimine la société de certification qui a délivré l’agrément. FSC lui retire son autorisation d’exercer, mais seulement au Brésil. Veracel n’a jamais été suspendu et bénéficie encore aujourd’hui d’une certification. Greenpeace commence à émettre quelques réserves à propos de FSC et quelques ONG ont déjà quitté le navire.

Un observatoire indépendant, FSC-Watch, surveille le label et a dressé la liste des « pires choses » permises avec la bénédiction de FSC. Ils dénoncent d’abord le conflit d’intérêts à la base de la certification, car une société qui veut se faire certifier FSC choisit et paie l’organisme certificateur. Il est donc dans l’intérêt de ces sociétés de ne pas faire un contrôle trop strict pour que les clients les rappellent l’année prochaine. Les plantations industrielles en monoculture sont certifiées, en dépit de leurs impacts sur l’environnement et sur les populations locales. Comme avec l’exemple de Veracel, le certificat n’est pas remis en cause en cas de manquements constatés, mais des correctifs sont demandés. Le consommateur peut donc acheter un bois certifié alors qu’il n’est pas conforme aux standards FSC. Le label en délivre en fait trois : FSC pur, qui signifie que la totalité du produit provient de forêts certifiées FSC, FSC mixte, qui peut contenir jusqu’à 50 % de bois « contrôlés » FSC (contrôles non réalisés selon FSC-Watch), c’est-à-dire pas certifiés, et FSC recyclé pour le papier, qui doit contenir au moins 75 % de produits FSC recyclés. Le fait que FSC contribue au programme de compensation carbone est aussi critiqué, tout comme la certification de forêts primaires, un mécanisme d’enregistrement et de traitement des plaintes qui ne fonctionne pas et l’inaction de FSC face à ces critiques, malgré le départ de nombreuses ONG.

Aujourd’hui, environ 10 % des forêts du monde sont certifiées, très majoritairement par FSC et PEFC. Les deux tiers de ces forêts sont gérés avec les standards de PEFC, soit 268 millions d’hectares. PEFC recense 750.000 propriétaires et plus de 16.000 entreprises partenaires dans le monde. En France, PEFC couvre plus de 8,1 millions d’hectares, dont 2,4 millions en Guyane et 3 millions de forêts publiques en métropole, ce qui représente 20 % de la forêt privée en France métropolitaine et 67 % des forêts publiques, dont la totalité des forêts domaniales. En comparaison, FSC ne gère que 29.000 ha en France. La domination de PEFC peut s’expliquer par le fait que cette certification est plus facile à obtenir, parce que ses exigences sont moindres et que son coût est beaucoup plus faible.

L’adhésion à PEFC est même automatique, après l’envoi d’un formulaire et d’un chèque d’un montant de 20 €, plus 0,65 € par hectare (au-delà de 10 ha). Aucun contrôle préalable n’est donc requis pour accéder à PEFC, qui prône une logique d’amélioration continue. C’est l’une des différences essentielles avec FSC. « Avec FSC, nous sommes dans une approche de performance, les propriétaires doivent prouver qu’ils respectent déjà nos critères avec un audit initial effectué par un organisme certificateur. Tous les porteurs du certificat sont contrôlés chaque année, ce qui permet une meilleure prise en compte de la biodiversité et du droit du travail par exemple », explique Guillaume Dahringer. Cela apporte plus de crédibilité au système, malgré les failles que l’on a pu constater, mais c’est aussi pourquoi une certification FSC coûte plusieurs milliers d’euros par an.

 

Des auto-contrôles

Pour les adhérents à PEFC, les contrôles sont presque inexistants. En 2013, les différentes déclinaisons régionales de PEFC ont réalisé 496 contrôles pour plus de 63.000 propriétaires adhérents, ce qui représente un taux de 0,78 %. Une grosse coopérative contrôle elle-même ses adhérents et l’ONF se contrôle lui-même. « On fait des contrôles par échantillonnage, avec une formule recommandée par les normes internationales. Si nous avions plus de moyens, nous pourrions faire plus de choses, mais le consommateur n’est pas prêt à payer plus cher pour du bois certifié », se justifie Stéphane Marchesi. Les propriétaires ne sont même pas tenus de respecter immédiatement le cahier des charges. Celui-ci mentionne que le propriétaire de plus de 10 ha doit « disposer ou s’engager à disposer dans un délai de trois ans à partir de la date d’adhésion, d’une garantie ou présomption de garantie de gestion durable définie par la loi forestière du 9 juillet 2001. » En clair, il faut se contenter de s’engager à respecter la loi dans un délai de trois ans pour vendre son bois avec l’étiquette PEFC.

Pour le secrétaire général de PEFC France, la priorité reste l’alimentation de la filière. « Les marchés publics exigent maintenant 100 % de bois certifiés, et ils représentent 20 % du CA de la filière. Il faut développer la mobilisation du bois dans un cadre d’une gestion durable des forêts. Pour cela, elle doit pouvoir fournir du bois demandé par les industriels. Il conviendrait de mobiliser davantage la forêt. » Pour lui, la mission de PEFC est plus pédagogique que contraignante. « Nous sommes dans un système d’amélioration continue, pour faire progresser l’ensemble des forestiers, les sensibiliser et les responsabilisersur leurs pratiques de gestion durable. C’est important que tous les professionnels de la forêt se rendent compte qu’ils ont un devoir vis-à-vis de la société. Si un standard n’était accessible qu’à une toute petite minorité, qu’est-ce que cela changerait ? » 

Evolution des standards

Pour Julie Marsaud, coordinatrice du réseau forêt à FNE, « PEFC est une démarche volontaire, intéressante à mettre en place, mais qui ne remplacera jamais une bonne législation. Il faut que l’on soit vigilant à ce qu’il n’y ait pas de recul lors de la révision tous les cinq ans du cahier des charges. Nous sommes toujours à la recherche d’un consensus, c’est un des principes de la certification forestière, de concilier des acteurs avec des intérêts divergents. Il faut que les propriétaires et les exploitants fassent encore des efforts. Ce n’est pas satisfaisant, mais on arrive à se retrouver dans les principes. Le but est d’arriver à progresser rapidement, tout en étant réaliste avec des systèmes opérationnels sur le terrain. » Du côté de FSC, Guillaume Dahringer défend un peu la même position, « FSC n’est pas une révolution, plutôt une évolution lente. C’est la seule façon d’avancer, même si c’est frustrant. »

Reste à savoir dans quels sens les critères vont évoluer. La nouvelle version du cahier des charges de PEFC devrait clairement inscrire la filière dans la compétitivité, intégrer la notion du changement climatique et du choix des essences, peut-être ajouter un cahier des charges spécifique aux plantations et tenter de donner plus de moyens aux propriétaires pour régler les équilibres forêts/gibiers. Côté environnemental, FNE devrait se contenter de conserver les limitations de coupes rases à leurs niveaux actuellement recommandés. FSC a mis à la consultation du public son projet de standards pour la France, qui n’avait pas encore été officiellement adopté. Mais certaines associations écologistes regrettent déjà la disparition de la distinction entre forêt et plantation entre la première et la deuxième version du projet. La notion de zonage, qui sépare forêts de production et forêts de conservation, est quant à elle maintenue, ce qui limite la possibilité de prise en charge globale de l’équilibre forestier.

Ces labels ont sans doute contribué à la prise de conscience environnementale de certains professionnels de la forêt. Mais parier qu’une amélioration lente et régulée par le marché des pratiques forestières sera suffisante pour préserver les bénéfices écologiques, sociaux et économiques apportés jusque-là par toutes les forêts du monde semble dangereux. A-t-on vraiment le temps d’attendre des dizaines d’années que les standards soient satisfaisants ? Est-il normal que les acteurs économiques soient encore en mesure de dicter leurs règles ? Un changement rapide et radical de la politique forestière mondiale est-il possible ? Sylvain Angerand, responsable forêts aux Amis de la Terre n’accorde plus aucun crédit à ces labels et donne son avis sur cette question : « ce n’est pas avec les certifications que l’on changera. Pour moi, ce n’est plus d’actualité. FSC s’aligne vers le bas, même si c’est le moins pire des deux. Il faudrait plutôt améliorer le contrôle citoyen et jouer sur la loi ».

Guillaume