Le tirage au sort, outil démocratique ?

Tirer au sort nos représentants politiques peut sembler de prime abord un peu loufoque. Et si on se retrouvait avec des incompétents comme dirigeants ? Cela, encore, on est habitué ! Mais que l’on n’aurait pas même pas choisis ? Qui seraient fous, dictatoriaux, racistes ? C’est vrai qu’à première vue, l’idée peut faire sourire ou même carrément peur. Pourtant, après avoir été enterré pendant des siècles, le tirage au sort fait un timide retour dans nos démocraties et ouvre des perspectives nouvelles.

Derrière un aspect farfelu, le tirage au sort offre des avantages certains, au rang desquels l’impartialité et l’égalité. Il y a 2.500 ans, les Athéniens l’avaient bien compris et l’utilisaient pour désigner certains de leurs dirigeants. Mais nous ne sommes plus à l’époque de la Grèce antique où les citoyens, peu nombreux, se reposaient sur leurs esclaves pour se dégager du temps afin de gérer les affaires de la cité. Aujourd’hui, tout le monde ou presque peut prendre part aux élections. Mais dans les faits, seule une poignée de professionnels accède aux fonctions politiques. Le tirage au sort comme moyen de sélection des dirigeants aurait le mérite d’annihiler le pouvoir de la classe politique. Il permettrait aussi de partager les responsabilités inhérentes à la gestion des affaires publiques. Quant aux compétences, il n’y a qu’à regarder la valse ministérielle pour comprendre que ce n’est pas un critère recevable. Dans un système de tirage au sort, les personnes désignées pour accomplir une mission sauraient s’entourer en toute indépendance de spécialistes reconnus. « Le tirage au sort est une procédure qui donne à chacun une chance de servir un jour la cité », résume Étienne Chouard. L’homme, critiqué par les antifascistes pour ses rapports avec l’extrême droite, milite pour un nouveau régime dont le point de départ serait la réécriture de la Constitution par une Assemblée constituante tirée au sort. Car, « pour l’instant, ceux qui ont écrit les règles ont un intérêt contraire à la démocratie. Le tirage au sort pour choisir qui rédigera cette constitution permettrait d’éviter les conflits d’intérêt », justifie-t-il.

Le tirage au sort peut être envisagé pour sélectionner différentes fonctions : conseiller municipal, député, sénateur, candidat d’un parti à une élection, ou autre. Si chaque cas est différent, les modalités d’application engendrent de nombreuses questions : faut-il tirer au sort parmi des volontaires ou parmi l’ensemble de la population ? Faut-il faire une pré-sélection ? Faut-il autoriser un tiré au sort à refuser sa mission ?  Pour éviter de retomber dans les travers de l’élection (carrières politiques, populisme, conflits d’intérêts…) et rendre la procédure plus sûre, les partisans du tirage au sort ne l’imaginent pas sans garde-fous. « Dans le tirage au sort, on donne un tout petit peu de pouvoir, mais avec des contrôles à tous les étages, avant, pendant, et après les mandants », indique Étienne Chouard. Dans le système qu’il imagine, « le tiré au sort ne déciderait rient tout seul. Il y aurait des groupes de tirés au sort et des groupes de contrôle ». Ceux qui auraient le pouvoir ne l’auraient que pour un délai court, et ils pourraient le perdre s’ils ne remplissaient pas correctement leur tâche. La révocabilité du mandat en cas de faute offrirait une garantie de plus à une véritable démocratie. Et à la fin de la mission, il y aurait une obligation de rendre des comptes sur le travail réalisé et l’impossibilité d’obtenir à nouveau la même fonction.

En Europe, l’exemple le plus marquant du retour du tirage au sort est à puiser en Islande. En 2009, en pleine tourmente politique et financière, « une Assemblée citoyenne d’un millier de personnes tirées au sort et de quelques centaines de personnalités qualifiées est rassemblée à l’initiative d’associations civiques pour dégager les valeurs sur lesquelles devrait se refonder le pays. L’expérience est réitérée en novembre 2010, cette fois avec le soutien étatique, dans la perspective de l’adoption d’une nouvelle Constitution », explique Yves Sintomer, sociologue et politiste français dans un article publié par La vie des Idées en juin 2012. Le processus de réécriture de la Constitution n’a pas abouti, car les politiciens locaux n’ont pas validé le texte proposé.  Cet essai est toutefois emblématique de l’envie de pratiquer une démocratie différente de celle qu’on connaît actuellement. « Face à l’oligarchie qui s’impose, l’envie de revenir à une tradition expérimentale de la démocratie se fait de plus en plus sentir », estime Gil Delannoi, chercheur au Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po.

Un autre avantage du tirage au sort est la sérénité qu’il apporte. Il « désarme la paranoïa et l’intrigue, et limite l’orgueil qui peut être ressenti par un candidat élu », analyse Gil Delannoi. Selon Étienne Chouard, « on n’est pas déshonoré lorsqu’on a perdu, c’est pacifiant ». De plus, il est plus difficile de corrompre un futur tiré au sort qu’un élu, du moins pas avant qu’il ne soit désigné. Ce ne sera pas non plus le plus télégénique qui obtiendra le pouvoir, ni celui qui a promis le plus aux lobbys.

Bien sûr, comme pour chaque système, l’efficacité du tirage au sort comme outil démocratique dépend de sa mise en œuvre. Ainsi, au XIXème siècle, il avait été utilisé pour recruter l’armée de mobilisation. Seulement, il était possible de céder son ticket. C’étaient donc les plus pauvres qui partaient au front, en échange d’argent. « Le tirage au sort est ce qu’on en fait. Il n’a pas de qualités ni de défauts intrinsèques, car tout dépend des modalités d’application », affirme Gil Delannoi. Cependant, « il y a un bon sens qui fait qu’il y a peu à craindre qu’on l’utilise de façon complètement arbitraire », estime-t-il. Le tirage au sort mérite donc plus que de la raillerie : il porte en lui des caractéristiques intéressantes pour qui souhaite améliorer nos démocraties qui ne font pour l’instant pas du peuple le véritable souverain.

Sonia



Les quelques exemples français

En France, le tirage au sort est principalement utilisé pour désigner les jurys d’assises. Dans le domaine politique, on le rencontre rarement, et de façon très locale. Il a ainsi été utilisé en région Poitou-Charentes en 2008 dans le cadre de la « démocratie participative ». Un « jury citoyen » de 26 habitants tirés au sort a été désigné pour évaluer les actions de la région en matière de lutte contre le changement climatique. Dans l’introduction à leur avis, la présidente de région Ségolène Royale explique la démarche : « pas besoin d’être un « spécialiste » du sujet (…) car ce qui compte, ici, c’est cet autre éclairage, cette autre expertise qu’apportent des citoyens capables de réfléchir ensemble, de poser des questions pertinentes, de débattre de leurs points d’accord et de désaccord pour, finalement, apprécier ce qui leur semble le plus utile dans l’intérêt général ».

Autre cas, le groupe de Metz d’Europe-Ecologie-Les Verts a désigné par ce moyen ses candidats aux cantonales en 2010 et aux législatives en 2012. Il s’agissait selon leurs propres termes de « lutter contre la professionnalisation de la politique, le carriérisme et le cumul des mandats, et de promouvoir la sélection aléatoire des candidats aux élections comme processus de réappropriation de la politique par le citoyen ».

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