En Bolivie : la coca comme identité

Les liens entre la Bolivie et la coca sont forts et très anciens. Au fil du temps, cette plante est devenue un facteur d'unité des peuples indigènes pendant les luttes sociales. Depuis son élection en 2005, Evo Morales tente de la faire légaliser par la communauté internationale pour pouvoir la commercialiser.

« Leskawsactun coca y wanuchun yanquis » (vive la coca, mort aux Yankees). Ce slogan a accompagné les manifestations des peuples indigènes en Bolivie, et témoigne de la volonté du peuple de se réapproprier ses richesses. En effet, depuis le XVème siècle, l’exploitation des ressources naturelles du pays (métal, gaz et minerais) n’a jamais profité aux Indigènes. À l'époque, le Royaume d'Espagne avait pillé les mines d'argent de Potosi. Dans les années 1980, les privatisations du secteur des mines et du gaz au profit d'entreprises étrangères mettent 40.000 ouvriers au chômage sans aucune indemnité. Dans le même temps, les éradications de champs de coca touchent de plus en plus de paysans. Seule une minorité corrompue s'enrichit avec le narcotrafic. Sous l’injonction du FMI et de la Banque mondiale, les gouvernements successifs s'efforcent de rembourser la dette extérieure, asphyxiant le pays par la hausse des prix. Si l'on considère le vol des richesses indigènes depuis cinq siècles, c'est bien aux Américains et aux autres colonisateurs de leur payer une dette, et non l'inverse. Des manifestations violentes éclatent, d’abord menées par les mineurs. Dès 1989, les Marches pour le Territoire et la Dignité convergent vers La Paz. Elles ont pour revendication la souveraineté et l'autonomie des peuples indigènes, le respect de leur droit à la terre et la défense de leurs traditions. La coca s'érige alors en symbole et, après les mineurs, ce sont les cocaleros (les paysans producteurs de coca) qui se retrouvent au cœur du mouvement.

Un rêve d'exportation

Les mouvements sociaux s'atténuent en 2005. Pour la première fois, un Indigène est élu président de la République. Lorsqu’il accède au pouvoir, Evo Morales est toujours à la tête d'un syndicat de cocaleros. La nouvelle constitution consacre la feuille de coca comme « patrimoine culturel, ressource naturelle renouvelable de la biodiversité de la Bolivie et comme facteur de cohésion sociale ». Lors d'un passage remarqué à la Commission des stupéfiants de l'ONU en 2009, le président bolivien montre et mâche une feuille de coca devant l'assistance. « Si c'est une drogue, alors vous devez me mettre en prison », dit-il devant l'assemblée. « La feuille de coca n'est pas de la cocaïne, elle n'est pas nocive pour la santé, elle n'engendre pas de perturbations psychiques ni de dépendance. En tant que producteur et président j'ai des responsabilités, je dois défendre une identité. La feuille de coca a quelque chose de sacré », ajoute-t-il. Il en profite aussi pour demander le retrait des feuilles de coca de la liste des stupéfiants et l'ajout de la pâte de cocaïne, qui ne fait selon lui pas partie de la liste des substances interdites. Il obtient l’ouverture d’un processus d’amendement de la convention sur les stupéfiants. Au-delà de l’aspect symbolique en tant que marque de respect des droits indigènes, cette reconnaissance serait aussi un facteur de développement économique pour la Bolivie, qui reste encore un des pays les plus pauvres de l'Amérique du Sud. Le gouvernement bolivien souhaite en effet exporter la coca sous plusieurs formes : infusion, farine, cosmétique, engrais et nutriments pour l’homme et le bétail.

La Bolivie compte près de 20.000 ha de cultures légales entre le Yungas et le Chapare. Les quatre récoltes annuelles possibles avec la coca font vivre de nombreuses familles. Pour ne pas être considérés comme des narcotrafiquants, les cocaleros ont soigneusement encadré leur activité. La limite d'une production est fixée à un cato, soit 1.600 m². Les récoltes excédentaires sont détruites, chaque syndicat s’autogère dans la production et la destruction. Pour pouvoir vendre leurs feuilles en toute légalité dans le pays, les cocaleros doivent passer par une association de producteurs de coca qui assure une traçabilité. L’exportation des produits issus de la coca permettrait de renforcer ce système qui contribue à détourner les producteurs des narcotrafiquants.

En parallèle du développement d'une filière légale de transformation de la coca, la Bolivie mène aussi une lutte contre la cocaïne. Pour atteindre leurs objectifs, les Boliviens visent les produits adjuvants servant à fabriquer la cocaïne. L’import de produits chimiques comme l’éther, l’acide, l’acétone, l’ammoniaque sont sévèrement contrôlés, voire interdits. La Bolivie a détruit 6.500 ha de champs illégaux en 2009, investit cinq millions de dollars dans le programme « Coca yes, cocaïne no » et vingt millions de dollars directement contre le narcotrafic. Cette politique de lutte contre le trafic est plus efficace que celle de la DEA (agence américaine antidrogue) qui sanctionne aussi bien les cultivateurs de coca que les producteurs de cocaïne ou les consommateurs, mais qui ne s'attaque ni aux banques qui blanchissent l'argent, ni aux fabriques de précurseurs.

Un début de reconnaissance

Cependant, la corruption n'a pas complètement disparu. Quelques hauts fonctionnaires ont été impliqués dans le trafic de drogue. À plusieurs reprises, l'organisation internationale du contrôle des stupéfiants a demandé au président de consacrer plus de moyens contre la culture de la coca. En retour, les pays d'Amérique latine ont demandé aux États-Unis de surveiller leurs banques, là où se trouve l'argent du narcotrafic. En Bolivie, un kilo de cocaïne coûte environ 6.000 dollars, aux États-Unis la même quantité coûtera entre 70.000 et 140.000, sans compter les bénéfices liés aux produits de coupe.

Un pas a été franchi en janvier 2013 quand la Convention sur les stupéfiants a adopté une résolution qui dépénalise la pratique de la mastication ancestrale de la feuille de coca. Les consommateurs ne sont donc plus considérés comme des délinquants au regard du droit international. Mais les feuilles de coca figurent toujours sur la liste des substances contrôlées et il reste interdit d'exporter la coca. Les Boliviens continuent de payer le prix d'une consommation de cocaïne complètement étrangère à la culture des peuples andins.

Soncoyman et Le Cogn'acier



Une guerre contre la cocaïne plus stratégique qu'efficace

Pour contrer l’augmentation de la consommation mondiale de cocaïne pendant les années 80, les USA décident d’intervenir directement en Amérique latine. Leur raisonnement est le suivant : si les productions nationales de coca bolivienne et péruvienne dépassent la quantité nécessaire à la consommation domestique, c'est que l’excédent alimente le narcotrafic. La méthode : intercepter les avions colombiens qui venaient se ravitailler en feuilles de coca en Équateur ou au Pérou pour les transformer ensuite dans leurs laboratoires. L'idée était d’empêcher les ventes pour provoquer une baisse du prix de la matière première et inciter les paysans à planter autre chose. Au début des années 90 la baisse de la production est significative : 140.000 ha en 1995 au Pérou, contre 35.000 en 2000. Cette baisse est aussi le résultat des démantèlements des cartels colombiens de Medellin et de Cali qui se fournissaient en feuilles de coca au Pérou et en Bolivie. Mais ces résultats ne suffisent pas pour dire que cette guerre est une réussite. Privés de leur source d'approvisionnement, les trafiquants colombiens ont développé les plantations de coca chez eux : 40.000 ha en 1995, 170.000 en 2000.

L'augmentation de la culture de coca en Colombie n’a pas été sans répercussions. Les groupes armés paramilitaires des Farc et des Auto-défenses Unies de Colombie (AUC) se sont développés dans le pays, entraînant avec eux des enlèvements, des meurtres en cascades et le déplacement d’environ deux à trois millions de personnes. Le plan Colombie démarré par les USA en 2000, avec un budget d’un milliard de dollars par an, commença par une vaste campagne de fumigation afin de détruire les cultures de coca. Au prix de graves dommages environnementaux et sanitaires, l'opération divisa de moitié les surfaces (80.000 ha en 2006). Pourtant, la production de cocaïne augmenta de 30% pendant cette période en Colombie, car le progrès technologique avait accru la productivité des laboratoires clandestins et permis une hausse de la teneur en principes actifs de la cocaïne. Cette « guerre » menée par les Américains est donc un échec, le marché de la cocaïne étant plus florissant que jamais.

L’intérêt des États-Unis à mener cette guerre est à chercher ailleurs. Penser que les narcotrafiquants et les cocaleros (les paysans producteurs de coca) marchent main dans la main est stupide. Du kilo de feuilles acheté au kilo de cocaïne, le prix monte en moyenne de 2.500 % ! Ce ne sont ni les pays andins, ni les paysans qui encaissent les énormes quantités d'argent généré par cette drogue. La guerre de la coca menée par les USA leur assure une position stratégique dans cette zone. Autrefois présents au Panama et en Équateur, il est aujourd'hui crucial pour les États-Unis d'être implantés en Colombie, le dernier rempart américain en Amérique latine. En contrôlant le passage des Caraïbes au Pacifique et l'accès à l'Amérique centrale via la route panaméricaine, la Colombie est un allié précieux pour les États-Unis et, de fait, presque leur seul en Amérique du Sud. Depuis que le Venezuela de Chavez a suspendu en 2008 ses contrats avec la société pétrolière américaine Exxon, la Colombie est aussi devenue l'unique source d'approvisionnement en pétrole dans la région pour les USA. Une autre raison pour laquelle les États-Unis sont présents en Amérique du Sud se cache derrière les besoins des firmes de la « pharmacochimie ». L’accès à la forêt amazonienne, le plus vaste réservoir d’essences végétales au monde, est absolument nécessaire pour la recherche médicale.

A lire aussi : La coca, une plante sacrée depuis 5000 ans

Blog de Soncoyman

 

Commentaires

Aujourd'hui les peuples de Bolivie et du Pérou consomment régulièrement des feuilles de coca pour lutter contre les effets de l'altitude:maux de tête etc.Est-ce une pratique très ancienne et antérieure à la conquête espagnole?...c'est tout à fait probable...cette consommation était-elle réellement réservée aux prêtres et aux puissants?j'en doute...De l'effet bénéfique à l'effet toxique,ce doit être encore une question de dosage.Enfin: merci l'anonyme pour cette intervention qui élève le débat initial!