Lignes à Très Haute Tension : l'histoire du maire démissionnaire

Pendant 11 ans, Jean-Claude Bossard fut maire du Chefresne, une commune de 300 habitants de la Manche. Adepte de la démocratie participative et du développement durable, il prend des arrêtés anti-OGM, met en place un Agenda 21, installe des panneaux photovoltaïques sur l’église, résilie le contrat EDF pour passer chez le fournisseur d’électricité verte Enercoop, etc. Mais surtout, il engage sa commune dans un bras de fer avec RTE, le gestionnaire des réseaux électriques de France, pour empêcher la création de la ligne à très haute tension (THT) Cotentin-Maine. Une lutte qui a débouché sur l’occupation d’un bois durant plusieurs mois et s’est soldée par sa démission et celle de tout son Conseil municipal en 2012. 

La ligne Cotentin-Maine, c’est 163 km de câbles parcourus par un courant de deux fois 400.000 volts, retenus par 420 pylônes, traversant une soixantaine de communes pour acheminer l’électricité produite par le futur EPR de Flamanville. C’est aussi 200 millions d’euros de coût de construction, auxquels s’ajoutent 20 millions d’euros apportés par RTE pour faire accepter le projet par les populations concernées (chiffres RTE). Pour notre maire anti-nucléaire, c’est également un combat qui a duré 8 ans. Avec 44 autres communes réunies au sein d’un réseau anti-THT, Le Chefresne pointe dès 2006 les problèmes sanitaires engendrés par les lignes THT et saisit la justice. « Avec la création de la charte de l’environnement en 2005, on s’est dit qu’il existait une loi pour protéger la santé humaine et animale. Car quand ce ne sont pas les enfants qui présentent des maladies, ce sont les animaux. Les vaches laitières, notamment, développent des inflammations qui rendent le lait non comestible », explique Jean-Claude Bossard. Comme quatre autres villages, il refuse les 170.000 euros proposés par RTE en guise de dédommagement pour les nuisances subies par l’implantation de la ligne, une somme soumise à la condition de ne pas porter de recours devant la justice. Il fait également adopter en 2008 un arrêté municipal qui prévoit qu’en attente d’une loi sur les lignes THT, celles-ci ne peuvent passer à moins de 300 m des élevages et 500 m des habitations.

Occupation du bois

« Fin 2011, on a constaté que la justice ne faisait pas son boulot », indique Jean-Claude Bossard. « Il fallait donc instituer un autre rapport de forces. On s’est associé avec le réseau des militants anti-nucléaires et en décembre de la même année, j’ai mis à disposition le château d’eau de la commune. C’était une bonne vitrine pour notre combat, on voyait les banderoles de loin ». Quelques mois plus tard, lorsqu’il apprend que le bois dont il est propriétaire est voué à être rasé pour faire passer la ligne, il le met également à la disposition des opposants. Et c’est ainsi qu’une occupation s’installe dans les arbres, qui durera de mars à juillet 2012. Chaque jour, une vingtaine de personnes occupent les cabanes : élus locaux, riverains, opposants anti-nucléaires venus de toute la France. Ils créent dans cette petite parcelle forestière un point d’information et de résistance. Les décisions sont prises « de façon horizontale. De nombreuses AG organisées régulièrement permettent à tous de prendre la parole », se souvient le maire. Avec les militants anti-THT, des déboulonnages publics de pylônes sont organisés, qui réunissent jusqu’à une petite centaine de personnes. Les riverains se serrent les coudes pour résister aux nombreuses pressions auxquelles ils sont soumis. Un hélicoptère survole régulièrement le village, les contrôles policiers sont légion, certains reçoivent même des menaces de mort.

Le 6 juin 2012, des entreprises viennent débuter les travaux au Chefresne pour l’implantation d’un pylône. Les élus et leurs administrés s’y opposent, au nom de l’arrêté municipal. Le maire est emmené en garde à vue, durant une douzaine d’heures. Pour protester contre le non-respect de cet arrêté, le conseil municipal vote le boycott des élections législatives, mais la préfecture réquisitionne les conseillers municipaux pour organiser le scrutin. Résultat, toute l’équipe municipale démissionne d’un seul bloc. « J’avais accepté d’être maire car je croyais à la démocratie. Mais je me suis rendu compte que la loi n’est pas la même pour tous », dénonce, amer, Jean-Claude Bossard.

La grange de Montabot

Quelques jours après cet épisode, des événements tragiques mettent fin à l’occupation du bois. Dans le village voisin de Montabot, un « camp de résistance » est organisé dans le cadre de la lutte anti-THT. Environ 300 personnes sont présentes lorsque les forces de l’ordre attaquent le camp pour disperser les manifestants. Le bilan est lourd. Vingt-cinq blessés chez les opposants, dont un jeune homme qui reçoit un projectile dans l’œil et perd la vue, deux chez les policiers. « Après ça, en AG, nous avons décidé de lever l’occupation pour éviter de nouvelles violences. Je ne voulais pas mettre en danger la vie des gens », explique Jean-Claude Bossard. Cet « échec » a laissé des traces chez les opposants. Des divergences et des rancunes sont apparues. Certains ont reproché au maire sa trop grande médiatisation et ses rapports avec des élus Verts, lui se dit « déçu des critiques dans le dos ».

Malgré ces problèmes et l’électrification de la ligne en mai 2013, le combat n’est pas mort. Des militants anti-THT ont investi une grange à Montabot pour en faire un lieu d’accueil et d’informations autour du nucléaire et de la très haute tension. Lors du week-end d’inauguration, en mai dernier, la plupart des acteurs de cette lutte étaient là, bien décidés à poursuivre leurs actions et continuer d’informer la population. De cette grange est ainsi parti l’Info-tour anti-THT, une tournée printanière de deux semaines pour faire connaître leur combat dans différentes villes françaises et partager les expériences de lutte. Quant au nouveau Conseil municipal du Chefresne, il n’a toujours pas accepté l’argent de RTE.                                               Logo des Déboulonneurs

Sonia