M.V. Prosperity

C'est au bord du Rhône, quelques kilomètres en aval de Lyon sur les quais du port de Salaise que mon voyage commence. J'embarque à bord du M.V Prosperity, un navire fluvio-maritime chargé de 1 380 tonnes de pneus broyés. Sa destination est le Maroc. Il est affrété par Aliapur, une société de valorisation des déchets. Sur place, la marchandise sera gracieusement cédée au cimentier Holcim qui brûlera les pneus dans ses fours.

À neuf heures, les amarres sont lâchées. Le bateau descendra le Rhône pour ensuite traverser la Méditerranée. L'arrivée à Nador est prévue quatre jours plus tard. Dans la passerelle, le compteur indique une vitesse de croisière d'environ dix nœuds. D'après le pilote de rivière, c'est le navire le plus rapide à évoluer sur le fleuve. La vitesse frappe moins que le calme et c'est très tranquillement que nous nous déplaçons. Dans les cabines, ce calme est rompu par le bruit assourdissant des moteurs.

Onze écluses jusqu'à la mer

La vie à bord est rythmée par le passage des écluses. Engager un engin de 75 m de long et 10,5 de large dans un corridor qui en laisse tout juste la place est une manœuvre délicate. Parfois, il n'y a même pas 20 centimètres entre les deux côtés de la coque et le béton. Le niveau d'eau commence à descendre quand les portes hermétiques se ferment. Il faut quelques minutes pour que les berges deviennent de gigantesques murs encerclant l'embarcation. A Bollène, le bateau est au fond d'un trou de 23 mètres quand la porte face à nous se relève. Il faut en moyenne une demi-heure pour les franchir, quand il n'y a pas de bateaux devant. Là où il y a un barrage, il y a presque toujours une écluse. Nous en avons franchi huit quand nous nous arrêtons le soir après celle de Caderousse.

Le bateau se transforme en vrai navire maritime

Il n'en reste plus que trois avant de voguer vers le large. L'équipage n'aime pas prendre la mer. Le bateau n'a pas été conçu pour cela et la faible densité de la marchandise que nous transportons n'améliorera pas sa stabilité. Le poids se retrouve autant au-dessus du niveau d'eau qu'en dessous. Les ballasts ne corrigeront qu'à peine ce problème. On me prévient que ce sera mouvementé. Je suis impatient malgré tout. Pour l'instant, je savoure le passage sous les ponts d'Arles. Le bateau change d'allure, il se pare pour la mer. Un drapeau des îles Jersey est apparu à la proue du navire. Les couleurs françaises flottent maintenant à la poupe sur un porte-étendard haut d'une dizaine de mètres. À l'arrière, on dresse un mat qui accueille les lumières réglementaires, un radar plus puissant que celui utilisé jusque-là pour la navigation nocturne et quelques autres instruments. Les échappements sont rehaussés.

Cap ouest, puis cap sud

Nous amarrons à Port-Saint-Louis en fin de matinée. C'est le dernier arrêt avant Nador. Il faut faire le plein de provisions, d'eau et de gazole. A 15h30, le pilote de rivière engage sa dernière manœuvre avant de quitter le navire. Il descend après avoir positionné le bateau devant l'écluse qui sépare le Rhône du port maritime. Un autre pilote monte alors le temps de guider le bateau dans le chenal.

Nous serons en mer pendant trois jours. Le commandant a fixé le cap en fonction de la météo, elle annonce des vents de nord-est. Nous filons vers l'ouest. Ensuite ce sera plein sud, au large des côtes espagnoles. Quelquefois, la terre se dessine au loin, mais bien souvent, seul l'horizon bleu entoure le navire.

Sept à bord, cinq nationalités

À bord, nous sommes sept. Le commandant, c'est Giuseppe Malato, un sicilien. Son second, Florentin Dascalescu, est roumain. Ils se relaient toutes les six heures à la barre. Deux mousses les épaulent Ambroise Dossou et Didier Sossou, béninois. Ivica Tuta, croate, chef ingénieur, s'occupe de la machinerie et des moteurs. Pascal Capochichi, lui aussi du Bénin, a la charge de nourrir l'équipage. Tâche qu'il assure avec brio. Les trois Africains peuvent rester jusqu'à un an et demi sur le bateau sans retourner chez eux. Les autres ont des contrats de six mois renouvelables.

La traversée se passe bien, les vents sont moins forts que prévu et la mer est presque toujours calme. Quatre jours après le départ, le Rif se dresse devant nous. Nador est situé au nord-est du Maroc, juste à côté de l'enclave espagnole de Melilla et de ses murailles. À quelques miles de la côte, les dauphins ont escorté un petit moment le navire. Ils avaient disparu quand je suis remonté sur le pont avec mon appareil photo.

Attente au large du port de Nador

Nous jetons l'ancre et attendons plusieurs heures avant de recevoir l'autorisation de rentrer au port. Quelques autres heures seront nécessaires pour régulariser ma situation vis-à-vis des autorités marocaines. La police de l'immigration n'avait encore jamais vu quelqu'un débarquer depuis un navire commercial et la compagnie avait oublié de déclarer qu'il transportait un passager. Je ne dormirai qu'une nuit à Nador, avant de prendre un bus pour Al-Hoceima, une petite station balnéaire située 150 kilomètres plus à l'ouest.

Les photos du voyage en bateau

L'équipage et la vie à bord