Une villa pour moi

Je viens de passer pas mal de temps à Chefchaouen, dans les montagnes du Rif. Cette petite ville très calme est parfaite pour se reposer un peu. C'était aussi ma première expérience de CouchSurfing, un site Internet qui met en relation voyageurs et résidents prêts à offrir le gîte aux inconnus. Et bien je peux dire qu'elle est réussie. Trois semaines de rêve dans la cité bleue.

Tout ça, je le dois à Abderahim. Contacté par l'intermédiaire de CouchSurfing, il me dit qu'il peut me donner les clés d'une maison à Chefchaouen. Il m'en apprend un peu plus quand nous nous rencontrons à Tanger. Ce qu'il me propose est tout simplement fantastique. Il me parle d'une maison d'hôte située dans la médina pour laquelle il s'occupe un peu des comptes. Il y était cuisinier avant. A Chefchaouen, l'offre hôtelière est plus importante que la demande, le travail se fait rare. Lui ne pourra pas venir. Un nouveau job, plus régulier, mais qu'il déteste, le bloque à Tanger. Il est opérateur dans un centre d'appel. Il vend des assurances à des Français en se faisant passer pour Jean-Pierre. Je serai donc seul là-bas.

Mélange d'Orient et d'Occident

Excité par une telle opportunité, je prends la route pour Chaouen quelques jours plus tard. Une fois sur place, je n'en reviens pas. C'est encore mieux que tout ce que j'aurais pu imaginer. La décoration est très soignée, mélange d'Orient et d'Occident. Beaucoup de peintures et de photos sont accrochées aux murs. Un bar ferme la cuisine, même ici une étagère est bourrée de livres. Je continue l'exploration du rez-de-chaussée, attiré par des rideaux que j'ouvre. Ils cachent un grand salon arabe. D'innombrables coussins de toutes tailles sont entassés sur les banquettes qui font le tour de la pièce. J’emprunte les marches qui doivent mener aux chambres. J'en trouve deux, une à chaque étage.

Abderahim m'avait pourtant dit qu'il y en avait quatre. Je ne m'en fais guère et passe voir la terrasse. Les immenses masses sombres toutes proches que je distingue avec peine sont un bon présage. Je suis sûr qu'une belle vue sur les montagnes apparaîtra quand le soleil se lèvera. Je redescends et aperçois un autre escalier. Je comprends alors que deux maisons ont été regroupées. Une deuxième salle de bains et les autres chambres sont bien là. C'est vraiment la grande classe.

Abderhaim m'avait donné un numéro. Mohammed est en quelque sorte l'homme de confiance, celui qui est toujours là. Il me rejoint et m'apprend que des clients arrivent le lendemain. Eux paient, pas moi. Je resterai tout de même ici cette nuit. Ensuite, j'irai dormir quelque temps chez Mohammed. Sa maison à lui n'a pas toutes les commodités de la villa. Mais je ne regrette vraiment pas que ces touristes soient venus.

Un monde irréel

Sa demeure est un pur concentré de Chefchaouen. On y pénètre par une petite porte arrondie qui peine à se dégager du mur. Il faut se baisser pour rentrer. Ici comme dehors, tout est bleu. On éprouve à l'intérieur exactement le même sentiment que lorsque l'on se promène dans la ville : l'impression étrange de se trouver plongé dans un monde irréel. Ceci n'est pas dû aux vapeurs de kiff ou de haschisch qui flottent à chaque terrasse et presque à chaque coin de rue. Ici comme à l'extérieur, il y a ce bleu. Décliné en dizaines de nuances. L'absence d'angle droit participe également à ce phénomène. Systématiquement, ils sont cassés, arrondis par la chaux qui recouvre murs, sols et plafonds. Dans cette maison, on pourrait se croire dehors. Le décor est le même.

C'est avec une certaine joie que je monte les escaliers irréguliers. Il n'y a pas de différence avec ceux que j'ai vus dans la médina. En haut, je découvre l'univers de Mohammed. Dans sa chambre, une télé est posée contre le mur, des cartons de DVD sont entreposés un peu plus loin. C'est un grand fan de cinéma, spécialement de vieux westerns et péplums. Je téléchargerai et graverai des dizaines de films qu'il me demandait. Pour lui, ces DVD sont un trésor.

Les élections

Je tombe malade peu de temps après mon retour dans la villa. Une sale crève qui m'a presque empêché de sortir pendant une semaine. Elle m'est tombée dessus peu après les pluies. Pendant ce temps, on votait au Maroc. Le jeu politique n'intéresse pas grand monde ici. Le « tous pourris » fait recette depuis longtemps. L'adjectif qui revient le plus lorsque j'entends les gens parler des ministres est voleur. Le taux de participation officiel s'élève à 45 %. C'est huit points de plus que les précédentes législatives de 2007, avec des listes électorales qui ont subi un important écrémage dans l'intervalle. Certains s'étonnent de ce chiffre. Assurément, l'abstention a été plus forte dans le Rif que dans les autres régions du Maroc.

Toujours est-il que le mouvement du 20 février, qui avait appelé au boycott, sort affaibli du scrutin. Le grand vainqueur, c'est le PJD, un parti islamiste. La laïcité, si chère à nos sociétés européennes, n'est pas un concept transposable tel quel ici. De nombreux électeurs estiment que la caution morale apportée à la politique par la religion sera un poids déterminant pour faire respecter des valeurs comme la justice et l'égalité. Le statut de parti « vierge » est un atout formidable dans un pays où la corruption et le clientélisme des politiques sont dénoncés par presque tous les Marocains. Les islamistes n'avaient jamais participé à un gouvernement. Aujourd'hui, leur chef de file est Premier ministre.

Les derniers jours sont plus tranquilles. Un couple partageait avec moi la maison. Être affalé sur une chaise longue, regarder les montagnes, fermer les yeux. C'est un plaisir incroyable de sentir sur son corps la chaleur du soleil en plein mois de décembre. Abderahim est finalement venu deux jours avant mon départ. Et il n'est pas tout seul. Nous passons une agréable soirée, avec des Tangérois et des Tangéroises qui savent s'amuser.