Bateliers : des vies au fil de l'eau

Les bateliers, ou mariniers, sont environ un millier en France. Salariés ou indépendants, ils parcourent les canaux et les fleuves pour transporter des marchandises. « Plus qu’un métier, c’est une passion », confient Viviane et Pierre Dubourg, propriétaires du Baychimo, une péniche de 39 mètres de long.

A chaque écluse, c’est le même rituel. Pierre passe la barre à sa femme Viviane, il enfile sa parka et sort de la timonerie pour aller à l’avant du bateau amarrer les cordes, tandis que Viviane sort les jumelles pour lire le nom de l’écluse afin de référencer la longueur de chaque bief (partie de canal entre deux écluses). Ce matin-là, nous sommes sur le canal entre Champagne et Bourgogne, et Pierre bougonne. La péniche, qui transporte 235 tonnes de ferromanganèse (un minerais)  de Dunkerque à Sète, avance à 1,8 km/h là où elle pourrait aller trois fois plus vite si le canal était entretenu. « Y a plein d’algues et le bateau frotte la vase », s’énerve-t-il. Heureusement, « patience est notre second prénom », indique Viviane.

Les Dubourg sont mariniers depuis trois générations. Les voies d’eau, ils les connaissent bien : celles de France bien sûr, mais aussi d’Allemagne, de Belgique et des Pays-Bas. Ils les ont pratiquées avec leurs parents, puis ensemble, à leur compte ou en tant que salariés. Ils ont navigué à bord d’une énorme péniche sur le Rhône ou sur des plus petits bateaux sur les canaux. Depuis avril dernier ils sont dans une péniche de 39 mètres de long qu’ils ont achetée. Indépendants, ils choisissent eux-mêmes leurs clients auprès de courtiers, et organisent leurs voyages comme bon leur semble. 

Depuis plusieurs années, ils observent la dégradation progressive des canaux de France : peu entretenus, certains sont même devenus impraticables. Au point qu'ils ont, à une période, préféré abandonner une petite péniche pour un plus gros navire. Le transport fluvial a pourtant de nombreux atouts. Certes, le trajet prend plus de temps qu’en train ou en camion. Mais il peut transporter de gros tonnages, est moins polluant et plus économique. « Le Grenelle de l’environnement, ça se veut écolo, mais rien n’a été mis en œuvre », soupire Pierre, qui est aussi secrétaire à la CNBA, la Chambre nationale de la batellerie artisanale. Chez VNF, les Voies navigables de France, en charge de l’entretien du réseau,  « il y a beaucoup de gens déconnectés des navigants », déplore-t-il. Résultat : des décisions inadaptées au transport fluvial sont parfois prises, comme baisser un peu le niveau d’eau d’un canal, ne pas draguer le fond durant une longue période ou généraliser les écluses automatiques qui font perdre du temps aux bateliers. 

Pourtant, le couple ne renoncerait pour rien au monde à leur vie de mariniers. « On est nés itinérants, c’est notre mode de vie », explique Viviane. « Je ne conçois pas de faire autre chose. J’ai un frère éclusier qui a parfois la nostalgie. L’envie de reprendre un bateau revient toujours », confirme Pierre. Seule ombre au tableau en plus du réseau de canaux vieillissant : ne pas voir leur fille, âgée de 14 ans, aussi souvent qu’ils le voudraient. Après quelques années de primaire en cours par correspondance, l’adolescente poursuit sa scolarité au collège en internat. Sa mère s’arrange généralement pour la rejoindre le week-end dans leur maison de Bourgogne, que le couple a achetée lorsqu’ils étaient salariés et ne travaillaient sur le bateau qu’une semaine sur deux. Son père, lui, doit souvent attendre les vacances scolaires pour profiter de sa fille, qui vient alors habiter avec eux sur le bateau. 

Car comme pour beaucoup de mariniers, leur bateau est plus qu’un outil de travail. C’est aussi leur résidence principale. L’espace de vie, situé à l’arrière de la péniche, fait environ 30m², et comprend tout le confort moderne d’un studio. Depuis peu, ils ont embarqué leur petite voiture sur la péniche, qui permet à Viviane d’aller retrouver sa fille le week-end. Aux alentours de 20h, ils amarrent la péniche pour y passer la nuit. C’est parfois l’occasion de rencontrer d’autres bateliers. La navigation en famille n’empêche pas les liens sociaux. Depuis 40 ans qu’ils font ce métier, les Dubourg ont rencontré des tas d’amis au fil de l’eau. Et il ne passe pas une heure sans qu’un de leurs téléphones portables ne sonne, pour parler de la météo, de l’état des biefs ou des problèmes rencontrés par leurs collègues. 

Sonia


Cet article est tiré du dossier "Nomades d'aujourd'hui", publié dans Lutopik numéro 4. Ce magazine papier fonctionne sans publicité ni subvention et ne peut continuer d'exister que grace à ses lecteurs. Si vous appréciez Lutopik, vous pouvez vous abonner, commander un exemplaire (rendez-vous ici) ou nous faire un don.