Envies de Commune à la ZAD

Les discussions sur l’avenir de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes se font de plus en plus précises. Accords sur l’usage des terres, mises en place de structures collectives, réflexions sur les communs, etc. Habitantes et habitants, paysannes et paysans, voisines et voisins, amies ou amis, beaucoup se projettent dans l’avenir, pour imaginer ensemble ce que pourrait être la vie sur place une fois le projet d’aéroport enterré.

« À quand des prescripteurs pour récolter l’impôt ? » Éclats de rire sur les bancs de la cabane du Gourbi pour cette blague prononcée lors de la réunion hebdomadaire des habitants de la Zone à Défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes. Parmi la quinzaine de personnes présentes ce soir là, tout juste éclairées par quelques bougies et lampes frontales, personne ne songe bien sûr sérieusement à instaurer une fiscalité. Pourtant, l’argent est une problématique qui reste à gérer collectivement : il s’agit d’éviter que la caisse commune ne se vide plus vite qu’elle ne se remplit. Des sous, il en faut par exemple pour imprimer le ZAD News, le journal local distribué dans la soixantaine de lieux habités de la zone, un outil essentiel de cohésion et d’information sur les décisions prises en assemblée, l’agenda, les débats en cours, etc. «  Il suffirait que chacun de nous donne 10 € par mois et on serait large. » Cette fois, l’affirmation semble satisfaire tout le monde, reste à concrétiser l’idée. C’est une anecdote, mais sans doute révélatrice de certains enjeux discutés sur ce territoire, « en lutte contre l’aéroport et son monde. » Ici s’expérimentent de nouvelles manières de vivre, avec une forte envie de « faire Commune. »

Entre 150 et 200 habitants résident sur la ZAD, d’une superficie de quelque dix kilomètres sur deux. On y croise aussi de nombreux visiteurs, amis, voisins, soutiens ou curieux. Il y a beaucoup de monde pour parcourir les routes ou les chemins, à pied, à vélo ou en véhicule. Par-ci, par-là, on entend des bruits de marteaux, de divers outils électriques, mais l’ambiance générale est plutôt calme. On est loin du pic d’affluence qui a suivi les tentatives d’expulsions de l’automne 2012. De nombreux occupants qui avaient alors convergé vers Notre-Dame-des-Landes pour protéger la ZAD sont désormais repartis, tout comme les gendarmes mobiles qui ont déserté les carrefours qu’ils occupaient jusqu’au printemps 2013. À cette date, il n’y avait alors plus de situation d’extrême urgence, plus d’expulsions, et le projet d’aéroport paraissait compromis. L’instant était devenu propice aux discussions portées sur l’avenir. « Ceux qui sont là aujourd’hui savent pourquoi ils sont restés », décrit une occupante. « On se projette après l’abandon du projet.» 

L'usage du foncier

La question du foncier et de l’usage des terres apparaît centrale pour envisager la suite sur ce territoire rural paradoxalement protégé par son statut de Zone d’Aménagement Différé (ZAD, au sens juridique). « Sur les 1650 ha de la ZAD, il y a environ 450 ha de friche, de routes et d’habitations et 450 ha qui sont utilisés par les paysans qui refusent de signer les expulsions malgré les pressions », détaille Cyril, membre de Copain, le Collectif des Organisations Professionnelles Agricoles INdignées par le projet d’aéroport. Le reste, soit quelque 750 ha, est contrôlé par AGO, la filiale de Vinci en charge de la construction de l’aéroport. Ces terres correspondent à celles des agriculteurs qui ont accepté de vendre, mais que certains continuent à cultiver après avoir signé avec Vinci une convention d’occupation reconduite chaque année, en attendant les travaux. « Ils ont renoncé à leurs droits et n’ont plus aucune légitimité à reprendre ces terrains. Ils en ont eu d’autres en compensation et beaucoup ont été assez malins pour toucher de l’argent en plus », affirme Cyril. « On ne veut pas avoir lutté pour qu’ils puissent les récupérer ou que d’autres s’agrandissent, on veut qu’elles restent entre les mains du mouvement, cela sera important pour le rapport de force à l’avenir. »

Sans compter les terres des paysans historiques en lutte, les opposants contrôlent déjà 250 ha sur les 750 qui appartiennent à Vinci, dont les 100 ha de la ferme de Bellevue. Copain, et d’autres, avaient alors protégé et occupé cette ferme, tracteurs en première ligne, avant sa destruction programmée. « Cela nous a permis d’avoir un pied à terre sur la zone. On a des fermes à côté et nous n’avons pas forcément l’occasion d’être tout le temps ici, mais c’était important de créer du lien avec le mouvement d’occupation. » Les terres sont utilisées comme pâtures pour quelques vaches, il y a aussi des volailles, des cochons, du foin... « Le rôle que l’on s’est donné ici, c’est de maintenir et d’entretenir les champs et les bâtiments pour que ceux qui voudraient s’installer là n’aient pas ce boulot à faire. Il s’agit aussi d’un combat contre l’agriculture productiviste. L’arrêt du projet d’aéroport peut intervenir très vite, il faut que l’on soit prêt à proposer quelque chose, commencer à créer un possible avec ces terrains. »

Après plus d'un an de discussions, une position commune sur l’avenir des terres a été adoptée fin 2015 par le collectif Copain, des paysans locaux, l’Acipa (Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport), l’Adeca (l’Association de défense des exploitants concernés par le projet d’aéroport, constituée dès les années 70) et les habitants de la ZAD. Elle prévoit que « les terres redistribuées chaque année par la chambre d’agriculture pour le compte d’AGO-VINCI sous la forme de baux précaires soient prises en charge par une entité issue du mouvement de lutte qui rassemblera toutes ses composantes ». Paysans, citoyennistes, occupants, radicaux ou plus modérés, c’est l’ensemble du mouvement d’opposition à l’aéroport qui est d’accord sur le principe d’une structure commune pour déterminer l’usage du foncier après l’abandon du projet. C’est une étape forte du chemin vers l’autonomie, car ce ne sera plus aux institutions de décider de l’avenir des terres sur la ZAD. Le texte souligne aussi l’importance de faire cohabiter des installations classiques et hors cadre, c’est-à-dire sans surface minimum ou obligation de rentabilité. « Il fallait fixer les bases pour continuer à vivre ensemble sur la zone, que les habitants, les paysans et les squatteurs comprennent les besoins de chacun, se rassurent sur le fait que l’on ne se fera pas la guerre ensuite. Nous aurons beaucoup plus d’ennemis quand le projet sera abandonné que maintenant », disent des personnes sous la serre du jardin collectif Rouge et noir.

Mutualiser le matériel agricole

L’agriculture prend de l’envergure sur la ZAD, sous des formes très variées, mécanisée ou non. Cela va de la permaculture aux grandes cultures, en passant par le maraîchage diversifié, le groupe verger, et une future installation dans les règles avec trente vaches laitières. Elle s’organise souvent autour de petits groupes, dont beaucoup sont fédérés autour de Sème Ta ZAD, l’assemblée paysanne de la ZAD, lancée en 2013 et qui appelle à une occupation agricole du site. « C’est une organisation paysanne structurée pour les projets hors cadre », explique Lisa du groupe "céréales". La moitié de la farine utilisée par les boulangers de la ZAD provient des champs de blé cultivés sur place. « Pour la troisième saison, il y a à peu près 10 ha de blés, soit une trentaine d’hectares cultivés en rotation. Nous avons reçu des conseils de tous les paysans impliqués dans la lutte, essayé plusieurs variétés et on arrive à voir ce qui pousse le mieux », explique-t-elle. 

Les collectifs paysans de la ZAD qui souhaitent utiliser des machines peuvent se tourner vers la "Curcuma", le Collectif d’Usure Réparation Casse, basée sur le principe des Cuma, les coopératives d’utilisation de matériel agricole. Elle permet à tous de bénéficier du prêt de plusieurs tracteurs et d’outils d’attelage pour biner, semer, arracher les patates, broyer… Tous ces accessoires ont été offerts par des paysans amis. « C’est du vieux matériel, on a tous les outils d’une ferme productiviste d’il y a 40 ans ! On fait des réunions pour les entretiens, on a un hangar de réparation et un autre de stockage », précise un de ses membres. Si la production peut être un objectif, la recherche du profit n’en est clairement pas un. Les pains des boulangers, les légumes, dont des tonnes de patates et d’oignons, les fromages du groupe "vaches", etc. sont mis à disposition à prix libre sur les lieux de fabrication et sur les étals du « non-marché » tous les vendredis en fin d’après-midi. L’argent et les dons reviennent dans la caisse commune de Sème ta Zad et servent pour tous. « On développe des structures de partage, que tu sois sur la ZAD ou pas. On donne aussi une partie de la production à d’autres personnes en lutte ailleurs, à des squats de sans-papiers, à des cantines », dit un occupant. 

Autonomie politique

Cultiver sur la ZAD veut aussi dire occuper le terrain, être plus indépendant. Mais ce n’est pas souvent l’autonomie alimentaire qui passionne le plus les zadistes. « Nous ne sommes pas dans une démarche d’autarcie, c’est l’autonomie politique qui nous intéresse. Ce qui compte, ce sont les échanges, les gens qui passent. Il ne faut pas s’enfermer », précise encore Lisa. La vie ici ne s’imagine guère sans la perspective de la lutte. Certains redoutent presque que cette dimension s’essouffle avec le temps, qu’elle passe au second plan. « Il vaudrait mieux un carrefour des luttes plutôt qu’une oasis des alternatives », plaide l’un. Pour une autres, « le premier objectif est d’arriver à faire sans les institutions, de se poser les questions de la répartition, de l’usage, qu'il soit agricole ou non, de trouver une forme d’organisation autour des communs, mettre en place des réseaux de solidarité, des chantiers collectifs pour les récoltes ou les autres travaux, de partager des moments de fêtes, des banquets… »

 

Au mois d’octobre, la ZAD s’est étendue vers l’est, où une maison inhabitée a été occupée au lieu-dit la Noë Verte. Ses habitants, investis dans le milieu associatif nantais, veulent monter une conserverie et la mettre à disposition de ceux qui en auront besoin, zadistes, paysans, voisins… Au départ, ce groupe d’amis voulait trouver des terres pour construire un lieu collectif, mais ils ont finalement décidé de s’installer ici. Ils n’avaient ni l’expérience du squat, ni celle des opérations policières. Juste après l’occupation de la maison, et pour empêcher une trop rapide expulsion, du monde s’était mobilisé pour les soutenir et bloquer les routes menant à la Noë Verte. C’est ce qui a obligé les gendarmes à  rebrousser chemin. « On interrogeait les communs depuis Nantes. En venant ici, il y avait la question de la précarité du projet, mais on a décidé de tenter. On ne perd rien, au pire ce sera une bonne expérience et des bonnes rencontres. La base du projet était de créer des liens avec des gens aux alentours. Pour l’avenir, il est important de pouvoir se lier avec l’extérieur, de favoriser des ponts, de lier les différentes composantes. Il faut faire des connexions avec des endroits où le système marchand est dominant, créer des brèches. Pourquoi pas créer une épicerie solidaire dans le village de Notre-Dame-des-Landes ? La Noë Verte est aussi une porte d’entrée pour le milieu associatif nantais. Des gens qui ne seraient pas forcément venus ici pourront maintenant s’y impliquer. »

Au-delà de l’agriculture et de la nourriture, l’idée du commun devient concrète en ce qui concerne l’entretien des chemins, des routes, des fossés ou encore de la forêt. On nous relate l’histoire du projet « construire en dur » de cette année. L’idée était de construire ou de rénover en réponse aux menaces d’expulsions, de montrer que les zadistes s’implantent durablement. Une scierie mobile était venue pour l’occasion débiter les arbres choisis sur le site pour servir de bois d’œuvre pour une quinzaine de lieux de vie, dont des espaces collectifs comme le Gourbi qui accueille des réunions, répétitions, projections… « C’était une bonne expérience, mais il y a eu aussi des conflits entre ceux qui ne voulaient pas du tout toucher la nature et ceux qui pensent qu’il faut la connaitre et l’utiliser un peu pour vivre avec. Il y a un vrai besoin, on ne peut pas rester sur une position figée, simplement dire, on ne touche pas à la forêt. L’idéologie est souvent mise à mal, les choses sont très concrètes. » Les questions qui concernent tout le monde sont débattues pendant les assemblées, mais tout ne s’y décide pas, la force de l’initiative reste importante. En cas de vrai conflit, les choses peuvent parfois bloquer. Il existe une pluralité de sensibilités, d’histoires personnelles, de points de vue sur la ZAD et plus largement dans le mouvement. C’est l’une de ses plus grandes forces. « Maintenir cette diversité est un vrai enjeu, cela veut dire accepter les conflits que ça suppose. Tu mets tout en pratique, c’est ça qui est politique, passionnant et ultra-vivant ».

Résoudre ensemble les conflits

Lors d’une autre réunion des habitants, un tirage au sort a eu lieu sur les bancs du Gourbi. Les prénoms de douze personnes sont sortis d’une marmite, qui en comptait une cinquantaine, tous volontaires pour faire provisoirement partie du groupe de résolution des conflits. C’est une nouveauté sur la ZAD. En cas de problèmes, ils pourront essayer de jouer les intermédiaires, les facilitateurs neutres pour tenter de régler les conflits, les faire cesser, trouver un terrain d’entente ou éviter qu’ils ne prennent trop d’ampleur. Cela peut concerner des vols, des comportements, des questions d’usages, etc. Vivre sans institutions veut aussi dire vivre sans police, sans justice, et savoir s’organiser pour gérer les inévitables accrochages d’une communauté humaine. Avec l’autonomie politique, se pose aussi la question de l’énergie, du transport, de la gestion des ordures, des soins, etc. À Notre-Dame-des-Landes, il s’agit plus de créer une nouvelle société que de s’offusquer d’un aéroport. « Faire commune chez nous, c’est aujourd’hui la meilleure chose à faire, la meilleure réponse à ce monde qui nous fait face. »

S’installer sur la ZAD n’est pas forcément évident. Il peut parfois être difficile d’y trouver sa place et les conditions de vie, quelquefois sans eau courante ni électricité, sont difficiles. D’autant que le climat est rude : le qualificatif de zone humide prend ici tout son sens. La menace constante des expulsions rend les perspectives d’installations à long terme incertaines, ce qui peut freiner les envies d’investissement, d’achats d’outils ou de matériel par exemple. « C’est difficile pour nous de sentir que l’on a des intérêts partagés, de définir ce qui est commun et de s’y raccrocher, car cette notion a été mise à mal depuis déjà longtemps ». « On remet en question des siècles d’organisation sociale, ça ne se fait pas sans douleur », poursuit un autre. Mais les perspectives de lutter collectivement contre un monde absurde et contre toutes les formes de dominations, de s’organiser horizontalement, l’envie de construire de nouveaux modèles de vie, de mener des réflexions au sujet de structures d’organisation communes, etc. sont autant de forces qui donnent toute son énergie à la ZAD. 

Des cycles de discussions ont été engagés entre différents lieux collectifs, en France et ailleurs, pour partager et enrichir les expériences. L’idée de Commune dépasse la ZAD et ce qu’il s’y passe. « La Commune, c’est tout ce qui la traverse, ce qui peut l’agrandir, tisser des liens de solidarité et de complicités avec les comités locaux, les collectifs en France et ailleurs, toutes les personnes qui viennent passer quelques jours ou quelques mois. Ici, c’est un espace ouvert à tous ceux qui souhaitent déserter le salariat, ceux qui souhaitent rejoindre une prise en mains active de leur destin », décrit Lisa. En réaction à l’annonce de la reprise des travaux par le gouvernement, les habitants et habitantes vont lancer leur propre appel d’offres. Ceux qui le veulent pourront participer au week-end de construction et de chantier, dans l’optique de consolider l’avenir de la ZAD. « Cela a un effet auto-entrainant. Tu penses en fonction du futur, tu t’organises donc en conséquence, ce qui rend l’avenir plus désirable, ça devient plus excitant de rester ensemble ici », constate Maël, qui habite sur la ZAD. Pour lui, « faire Commune, c’est retirer un territoire de la République et de l’autorité de l’État, dire que c’est nous qui allons faire quelque chose, tenter nos expériences, faire nos choix, nos erreurs et pouvoir recommencer. Mais une Commune n’a pas de sens s’il n’y en a pas d’autres avec qui s’allier. »

Guillaume

Pour aller plus loin :

Foncier : Un état des lieux Pour penser l'avenir de la ZAD de Notre Dame-des-Landes

Position commune sur l'avenir des terres

Entretiens croisés ZAD / NO-TAV

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