Les Babayagas : une tentative de collectif

 

À la maison des Babayagas de Montreuil, une vingtaine de femmes âgées ont fait le pari d’une vie collective, autogérée et conviviale. Mais l’entente au quotidien n’est pas toujours aisée et le projet cherche un second souffle.

En 2012, à Montreuil, une expérience innovante d’habitat collectif pour personnes âgées a vu le jour. Une vingtaine de femmes, de 58 à 89 ans, ont emménagé dans un immeuble construit pour elles par l’OPHM (l’Office public de l’habitat montreuillois), le Conseil général et la municipalité. Appelé la maison des Babayagas, du nom d’une légendaire ogresse russe, ce lieu se veut autogéré, solidaire, citoyen, féministe, écologique et ouvert sur le quartier. Il accueille notamment les rencontres d’Unisavie, « l’université du savoir des vieux » créée par les Babayagas avec l’objectif de changer la représentation des vieux sur eux-mêmes et le regard porté sur eux par la société.

L’idée est lancée en 1995 par trois femmes qui voulaient vivre une vieillesse heureuse. « Mon idéal : une bonne fin de vie, sereine, joyeuse, qu’on reste créatives et intelligentes », souhaite Thérèse Clerc, une militante féministe de longue date aujourd’hui âgée de 87 ans. Les politiques sont durs à convaincre. « Il a fallu attendre la canicule de 2003 et ses 19.000 morts en France pour que les pouvoirs publics donnent leur feu vert », soupire-t-elle. Vingt et une femmes sont sélectionnées pour faire partie de l’aventure. « L’OPHM a accepté l’innovation au point qu’on fasse le casting nous-mêmes », précise-t-elle. Uniquement des femmes, car « les femmes, à nos âges, sont majoritaires, et leur retraite est 40 % moins élevée que celle des hommes », explique Thérèse. Plus qu’un lieu de vie, la maison des Babayagas est « un projet politique, une tentative de vieillir autrement ». 

Ne pas faire de la vieillesse un couperet

Il y a deux ans, les premières femmes emménagent dans des appartements individuels de 26 à 44 m². Les communs sont constitués d’un petit jardin, d’une buanderie collective et de deux salles destinées à accueillir une bibliothèque, un coin cuisine et des conférences. L’une des premières à s’installer est Odette Manteau. C’est elle qui a recruté nombre des nouvelles venues. « J’ai entendu beaucoup de femmes, et beaucoup de solitude. Mais au final, toutes celles qui sont venues l’ont fait pour le projet ».
« On était des femmes qui voulions, ensemble, faire bouger la société. Beaucoup avaient un passé de femmes actives, militantes. C’était enthousiasmant de continuer, de ne pas faire de la vieillesse un couperet », témoigne Jacqueline Goellner, l’une des habitantes. En adhérant aux Babayagas, elles acceptent de donner 10h hebdomadaires à l’association, sous forme de jardinage, secrétariat, entretien des communs. Mais malgré un casting autogéré et un lieu de vie que toutes s’accordent à reconnaître très plaisant, de vives tensions apparaissent rapidement, cristallisées autour de la forte personnalité de Thérèse Clerc.

Avant même l’installation, une dizaine de femmes du groupe instigateur du projet quittent l’aventure pour cause de désaccord autour de l’installation d’un spa ouvert aux femmes du quartier. De son côté, Thérèse n’intègre pas l’immeuble car elle n’a pas obtenu de dérogation lui permettant de louer un logement social tout en conservant l’appartement dont elle est propriétaire. Elle reste néanmoins très engagée au sein de l’association des Babayagas. Dans la maison, les frustrations s’accumulent. Le travail demandé est jugé « accablant » par certaines, Thérèse est accusée d’être «autocratique et tyrannique », « le projet trop politique, élitiste, pas assez respectueux des personnes ». En février dernier, une deuxième vague de démissions secoue l’association. Aujourd’hui, sur les 21 femmes présentes, seules cinq adhèrent encore aux Babayagas et les mauvaises relations compliquent la vie collective. Excepté la buanderie, les communs ne sont pas utilisés par les habitantes qui, jusqu’à peu, n’en avaient même pas la clé, le seul exemplaire étant aux mains de Thérese Clerc qui y organisait les réunions d’Unisavie. 

Cependant, malgré ces difficultés, certaines habitantes tentent de redonner vie au projet d’origine. Elles ont recréé un collectif pour partager autre chose qu’une adresse, et envisagent de lancer prochainement des cafés citoyens. La mairie, l’OPHM et l’association des Babayagas en ont appelé à une médiation pour régler les problèmes. Quant à Thérèse Clerc, malgré la déception sur ce qu'est devenu son projet, elle fourmille d’idées pour faire vivre Unisavie.  « Je mise beaucoup sur l’utopie et l’arrivée de nouvelles femmes, même si l’utopie est parfois bien difficile».

Sonia


Cet article a été publié dans Lutopik n°6 et fait partie de notre dossier intitulé "Place aux vieux !"

Sommaire du dossier :

« Les vieux pourraient rendre la société plus douce et plus équilibrée » Entretien avec Serge Guérin

 Internet : s'y mettre ou ne pas s'y mettre ? Immersion dans un cours d'informatique

 A l'ombre des Ehpad Reportage en maison de retraite

 Tous les âges à tous les étages Enquête sur les nouveaux habitats coopératifs

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 Les seniors pris pour cible  Enquête sur la silver économie

Comme sur des roulettes Rencontre avec un Géo Trouvetou nonagénaire

 Aidants pour dépendants Témoignages des proches de malades d'Alzheimer

Pour une société « sans miroir assassin » Entretien avec Suzanne Weber

 La mort douce et choisie : un droit à conquérir. Enquête sur l'euthanasie