Les deux visages de l'agriculture bio

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Introduction de notre dernier dossier consacré à l'agriculture biologique paru dans le numéro d'automne (sommaire en fin d'article).

Depuis quelques années, l’agriculture biologique a quitté les cercles militants pour investir les rayons des grandes surfaces. Pour approvisionner ce marché de masse, les méthodes deviennent intensives et industrielles. Entre la bio commerciale et la bio paysanne, le seul point commun reste le label AB.

En quelques années, le bio est sorti de la marginalité pour se faire une place sur le juteux marché agro-alimentaire. La moitié des ventes est réalisée par la grande distribution et le label AB est devenu un atout commercial. Pour baisser les prix affichés en magasin, les firmes ont appliqué à l'agriculture biologique les méthodes de sa cousine conventionnelle : augmentation de la taille des exploitations, spécialisation, culture intensive et structuration de filières intégrées.

Les nouveaux adeptes du bio, souvent occasionnels, n'ont pas forcément les mêmes motivations que les pionniers. Pour ces derniers, « acheter bio » était d'abord un acte militant. Il s’agissait de développer une agriculture de proximité, bénéfique pour les Hommes et la Terre, et de recréer des liens entre consommateurs et producteurs.

Aujourd’hui, près d’un Français sur deux achète au moins un produit bio par mois. Les raisons de ce succès sont surtout liées à la prise de conscience des conséquences de l'agriculture chimique sur la santé et l'environnement après divers scandales alimentaires et autres campagnes médiatiques. L’arrivée de ces nouveaux clients, souvent plus intéressés par la qualité sanitaire des produits biologiques que par sa démarche politique, ouvre un boulevard aux industriels et pose en même temps la question de l’identité de l’agriculture bio.

« Quels points communs existe-t-il entre les paysans qui vendent leurs produits bio, avec une réflexion sur un prix juste, sur des marchés de plein-vent ou au sein d’Amap (Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne), et une enseigne de la grande distribution qui propose sur ses linéaires des produits bio importés de l’autre bout du monde, au bilan carbone catastrophique et vendus entre cinq et dix fois leur prix d’achat ? », s’interroge les auteurs du livre La bio entre business et projet de société. Une des réponses est le label bio, qui peut aussi bien valider une petite ferme qu’une exploitation intensive en monoculture.

À force de course au profit et au productivisme, certains craignent le rapprochement de l'agriculture biologique avec une forme d’agriculture raisonnée, qui serait seulement un peu plus respectueuse de l’environnement mais loin des valeurs originelles de la bio. Une crainte justifiée au vu de l’évolution de la réglementation. Le label AB a perdu en exigences en 2009 lorsqu’il s’est aligné sur le règlement européen, et le prochain texte européen sur la bio, actuellement en discussion, donne la priorité aux grandes cultures.

Le danger d’une dénaturation et d’une dévalorisation de la bio a aussi été pointé par la FAO qui, dès 2007, notait que « les petits producteurs biologiques cédaient progressivement la place à de grosses entreprises agroalimentaires (…), ce qui pourrait à terme réduire les avantages découlant de l’agriculture biologique. Il convient de trouver les moyens de préserver le contrôle que les producteurs exercent sur les circuits d’approvisionnement en produits biologiques ».

Sur toute la planète, des paysans démontrent que l’agriculture biologique est une solution viable pour fournir localement et en quantité suffisante une nourriture de qualité. L’une des bases du bio était la conquête de la souveraineté alimentaire par la multiplication de petites structures fermières, les plus autosuffisantes possibles, et qui garantissaient des prix intéressants pour les producteurs comme pour les consommateurs. Un passage massif au bio est souhaitable, et même indispensable, pour réduire les pollutions et préserver les sols. Mais il serait dommage de ne pas se saisir de l’occasion pour changer radicalement de modèle agricole.

 

Le bio en France

• En 2014, les surfaces certifiées AB ont augmenté de 9 %. Plus d'un million d'hectares sont en bio ou en conversion.

• Le chiffre d’affaires atteint 4,56 milliards d’euros, aussi en hausse de 9 % par rapport à l’année précédente.

• La consommation de produits bio est estimée à 2,5 % du marché alimentaire total. En valeur, elle atteint même 15% pour les œufs, 11 % pour le lait et 6 % pour les fruits et les légumes.

• La bio représente 4 % des surfaces agricoles,  5,4 % du nombre de fermes (soit 26.500 producteurs) et plus de 7 % de l’emploi agricole.

Source: Agence Bio

 

Nourrir le monde en bio

L'argument des rendements qui seraient plus faibles en agriculture biologique est souvent brandi par les partisans de l'agriculture conventionnelle qui pensent qu'il serait impossible de nourrir l'humanité sans engrais ni pesticides chimiques. Pourtant, les études qui prouvent le contraire se multiplient, en particulier depuis celle de la FAO publiée en 2007 sur l'agriculture biologique et la sécurité alimentaire. L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture y affirmait en effet qu'une conversion à grande échelle à l'agriculture biologique ne modifierait pas la disponibilité des produits alimentaires en Europe et Amérique du Nord, et même « entrainerait probablement un accroissement des disponibilités alimentaires » en Afrique.

Sommaire du dossier Bio commerciale et bio paysanne paru dans Lutopik #5 :

Les deux visages de l'agriculture bio, page 4

Le bio prend du volume, page 7

Labels, le bio et le moins bio, page 10

L’éthique sans le label, page 13

Poulets bio à la sauce Duc, page 14

Biocoop à l'épreuve du business, page 16

Permaculture : l'agriculture de demain ?, page 18

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