Les monnaies locales revisitent l'économie

sardines.gifDans certaines villes, il est désormais possible de payer sa baguette en monnaie locale, sans passer par les euros. Ces monnaies revendiquent une économie sans spéculation, dans laquelle chaque citoyen contribue par ses achats au maintien ou au développement d'une offre de services et de produits locaux.

« Dynamiser l’économie locale », « éviter la thésaurisation et la spéculation », « refaire de la monnaie un moyen et non une fin », « ne pas laisser les marchés dominer notre économie et se réapproprier la monnaie » sont autant d’arguments mis en avant par les utilisateurs des monnaies locales complémentaires. Depuis 2010 et le lancement à Villeneuve-sur-Lot de l'abeille, la première monnaie locale française, les projets se multiplient. On en recense une vingtaine sur tout le territoire, et une quarantaine sont en cours de création. Malgré des divergences de fonctionnement, tous ces projets veulent faire de la monnaie un outil au service d’échanges locaux et éthiques et non plus un moyen de spéculation. « Cela répond au désir de reprendre le pouvoir sur notre monnaie. Par nos achats, on peut impulser un changement de société », souligne Françoise Lenoble, fondatrice et co-présidente de l’association qui a lancé l’abeille.

Le principe est toujours le même : les adhérents au réseau diffusant la monnaie locale se procurent les coupons-billets contre des euros dans des comptoirs d’échanges ou auprès des associations organisatrices. Chez les commerçants qui acceptent la monnaie locale, le client peut payer en sardines, mesures, communes, sol-violettes, abeilles, eusko, etc. au lieu de régler ses achats en euros (un euro vaut une unité de monnaie locale et l'appoint peut être fait en euros). Les prestataires sont choisis selon des critères sociaux et environnementaux : ils doivent répondre au cahier des charges de l’association qui gère la monnaie locale. En général, ce sont des artisans, des commerçants et des petites entreprises indépendantes qui s’engagent à se fournir le plus possible auprès de producteurs locaux.

Donner du sens à la monnaie

Le cahier des charges imposé aux commerçants participants est la principale valeur ajoutée de ces monnaies locales par rapport aux tickets resto ou autres chèques vacances. C’est lui qui donne du sens à la monnaie. Selon les cas, en plus des exigences de production et de relocalisation locale, il peut astreindre à d'autres critères. Ainsi, pour l’eusko, qui circule au Pays Basque français depuis janvier 2013, le cahier des charges est fortement lié à la langue basque : l'Euskara. Pour être prestataire dans ce réseau, il faut aussi s’engager à communiquer en basque auprès de ses clients, soit par l’affichage bilingue en magasin ou sur les menus des restaurants, soit en prenant des cours pour maîtriser les rudiments de la langue. En utilisant l’eusko au lieu de l’euro, les particuliers aident à préserver et développer cette spécificité régionale.

La plupart des systèmes de monnaie locale complémentaire français conservent en garantie les euros échangés dans un compte épargne éthique proposé par des sociétés financières de l’économie sociale et solidaire, le plus souvent la NEF. Si la conversion des euros en monnaie locale est en général d’un pour un, la reconversion des monnaies locales en euros est soumise à des frais de l'ordre de 3 à 5%. Seuls les prestataires sont autorisés à reconvertir la monnaie complémentaire qu’ils reçoivent de leurs clients en euros. Les particuliers ne le peuvent pas, afin d'encourager l'usage de la monnaie locale. Les frais de reconversion permettent bien souvent de financer des projets associatifs ou de compenser la perte lorsque le taux de change en euros n'est pas exactement de un pour un. Par exemple, on peut obtenir 110 mesures (la monnaie locale de Romans) contre 100€ ; cette disposition est un coup de pouce en faveur du pouvoir d'achat de ceux qui utilisent la mesure. Parfois, la monnaie est également « fondante », c’est-à-dire qu’elle perd de sa valeur avec le temps. Là aussi, il s’agit d’éviter la thésaurisation et d’encourager les échanges. Les sommes générées par la fonte servent en général à financer le système (impression des billets, fontionnement de l'association) ou à soutenir divers projets locaux.

À Roanne, où la commune circule depuis novembre 2010, le réseau veut rester petit pour conserver son indépendance. « Nous sommes dans une démarche politique en opposition à l’euro », expliquent les fondateurs de la commune. « Le terme même de monnaie locale complémentaire ne nous convient pas. On préfère monnaie subsidiaire ». Plus radicale que la plupart des autres monnaies locales, celle-ci a pour objectif de faire sortir des euros du système bancaire. Ils ne touchent aucune subvention et les 4000 € qu’ils ont convertis en communes ne sont pas non plus déposés dans une banque.  L’association gérante en prête une partie à ceux qui en ont besoin sous forme de micro-crédits.

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À l’opposé, à Toulouse, la ville est très impliquée dans le sol-violette qui circule depuis mai 2011 (70.000 sont en circulation). Elle a subventionné le projet à hauteur de 120.000€, ce qui a permis d’embaucher l’équivalent de 4,5 temps plein, et offre 30 sol-violettes par mois à 90 familles défavorisées qui ont été sélectionnées par les Maisons des chômeurs. La municipalité s’est positionnée en faveur de l’utilisation des sol-violettes dans son réseau de transport Tisseo mais le Trésorier payeur municipal, un fonctionnaire détaché de Bercy, fait pour l’instant barrage à cette mesure (autorisée dans d'autres pays européens) au prétexte que la seule monnaie ayant cours légal est l’euro. À Montreuil, qui prévoit de lancer la pêche cette année, la mairie a déjà décidé d’accorder 30.000€ de subventions et le conseil régional 50.000€. Des sommes importantes d’argent public qui, si elles montrent l’intérêt que portent certaines autorités locales à ces initiatives citoyennes, posent la question de l’efficacité de tels projets.

Impact des monnaies locales

Sur le plan de l’économie locale, il est encore trop tôt pour savoir si ces monnaies dynamisent réellement les échanges. à Villeneuve-sur-Lot, où l’on utilise l’abeille depuis 2010 (60.000 abeilles sont aujourd’hui en circulation), on constate que « les restaurants se procurent leurs ingrédients auprès de producteurs locaux, ce qu’ils ne faisaient pas avant », indique Françoise Lenoble. De même à Toulouse, où a été instauré un système de suivi des coupons-billets, « on sait que le sol-violette circule trois fois plus vite que l’euro. Il est échangé 6 à 8 fois avant d’être reconverti en euro, donc de repartir dans l’économie spéculative », explique Caro Andrea. Au Pays Basque, 5.000€ ont été reversés à 23 associations six mois après le lancement de l’eusko  grâce aux bénéfices de la reconversion. Il faut dire que l’eusko est en volume la monnaie locale la plus importante de France avec 230.000 euskos en circulation. Les initiateurs du mouvement envisagent de lancer prochainement des euskos dématérialisés pour effectuer des virements interentreprises (commerçants - fournisseurs). Cependant, « en France, on manque de recul pour faire un bilan socio-économico-écologique de leur impact. C’est un mouvement profond de transition, mais il n’implique pas encore suffisamment de gens même s’il est globalement pertinent », estime Philippe Derudder, auteur de plusieurs ouvrages en faveur des monnaies locales complémentaires.

Si le mouvement est encore trop petit pour mesurer son impact sur la relocalisation de l’économie, les monnaies locales sont par contre intéressantes sur un plan pédagogique. Leur mise en place est source de débats qui permettent de mobiliser les citoyens autour de la question souvent tabou de l’argent et de faciliter la compréhension du système monétaire. À Toulouse, ce sont d’ailleurs trois associations d’éducation populaire qui sont à l’origine du sol-violette. Le fait d'avoir une monnaie fondante est notamment un bon outil de réflexion. « Pourquoi une monnaie doit perdre de la valeur au fil du temps ? Est-il normal que l’on puisse faire de l’argent avec de l’argent ? La fonte a le mérite de poser les questions de l’intérêt et de la rente », estime Philippe Derudder.

Pour que les monnaies locales aient un impact sur l’économie locale, il faut qu’elles soient utilisées par suffisamment de gens. Or, si les professionnels perçoivent rapidement l’intérêt d’une telle expérience, « la principale difficulté est de convaincre les particuliers de rentrer dans le réseau. Il faut faire grandir les consciences. Il n’y a pas d’intérêt personnel immédiat à faire partie du réseau ; c’est un cheminement de chacun pour penser intérêt collectif », rapporte Sylvaine Dufour, cofondatrice de la sardine à Concarneau. Pour que ce soit utile, il faut également que la monnaie incite effectivement les utilisateurs à acheter des produits « éthiques ». Or ce sont souvent des militants déjà convaincus par la nécessité de consommer local qui adhèrent les premiers. « L’enjeu est ensuite d’élargir les utilisateurs à un second cercle », explique Philippe Floris, co-céateur de la muse, la monnaie qui circule à Angers depuis le printemps 2012.

Sonia


liasse1_muse.gifLa Banque de France se penche sur les monnaies complémentaires

Si l’euro est la seule monnaie ayant cours légal d’après la Banque de France, les monnaies locales sont quand même soumises à la réglementation bancaire et financière. Les émetteurs de monnaies locales devraient donc être agréés en tant qu'établissements de crédit par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), un organisme adossé à la Banque de France. Cependant, ils peuvent demander une exemption au motif que leurs opérations bancaires sont réalisées au sein d'un « réseau limité d'accepteurs ». Cette formalité remplie, les émetteurs de monnaie locale ne sont pas hors-la-loi. Cependant, leur utilisation est limitée. La valeur doit être de un pour un avec l'euro. Il n'est pas légal d'utiliser le fonds de garantie constitué par la conversion des euros en monnaie locale et obligatoirement déposé à la banque, bien que certaines monnaies locales le fassent. Un salaire peut être payé en partie en monnaie locale avec l'accord du salarié. Cependant, en France il n'est pas encore possible de régler ses impôts même locaux avec une autre monnaie que l'euro.

Avec le développement des monnaies locales complémentaires, l'ACPR les regarde de plus près. Ils ont notamment entamé un dialogue avec des représentants du mouvement de ces monnaies pour vérifier qu'elles sont bien en adéquation avec la réglementation. « Pour l'instant, il n'y a pas de volonté de freiner les monnaies locales. Il s'agit d'une simple vigilance », estime Philippe Derudder, spécialiste des monnaies complémentaires.

 

Commentaires

Je trouv ca très bien ce système de monétisation local.moi qui vie sans compte banquière depuis des années

Je sais qu'il s'agit là d'un truc de "jeunes", mais je serais vous, je regarderais de plus près ce que l'on appelle les "crypto-monnaies", ces monnaies électroniques tel le Bitcoin, qui sont globales, indépendantes de tout état et de tout organisme... De plus en plus de marchands, acceptent le Bitcoin pour effectuer ses achats... La vraie révolution monétaire de demain est là. Les "monnaies" locales n'ont rien de comparable à côté, l'aspect "local" limitant leur intérêt...

pour aller plus loin dans cette démarche, nous montons une assoce de type collégial (pas de leader), susceptible de chapeauter plusieurs MLCC sur un territoire donné (pour respecter la norme Banque de France). L'objectif est clairement de travailler sur un système interchange entre elles afin de limiter le retour en €. pour en savoir plus sur les modalités, proposer des idées ou (mieux) participer à la création d'un réseau interchange ... pourquoi pas planétaire : lmdpt [at] orange.fr