Les Voyageurs freinés par la loi

Legis.jpgLes Tsiganes auraient quitté l’Inde il y a plus d’un millénaire avant d’atteindre la France au XVe siècle. Bien accueillis au début, ils sont rapidement mis au ban de la société. Aujourd’hui encore, ils sont placés sous le régime d’un statut spécifique qui restreint leur liberté.

Confirmée à la fois par des études linguistiques et génétiques, l’origine indienne des Tsiganes ne fait plus guère de doutes. Selon une chronique datant du Xe siècle, ils auraient quitté, vers l’an 1000, la région du Sind, actuellement au Pakistan, pour répondre à l’appel d’un roi de Perse à la recherche de musiciens pour divertir ses sujets. Ne voulant pas devenir agriculteurs, ils se seraient ensuite progressivement éparpillés à travers le monde.

Les différentes migrations ont fini par constituer des groupes distincts. Gitans et Kalés auraient transité par l’Afrique du Nord avant de gagner l’Espagne, le Portugal et le sud de la France. Les Sinti et les Manouches seraient venus par l’Europe de l’Est. Ils sont présents aujourd’hui en Italie, en France et en Allemagne. Les Yéniches ne seraient pas tsiganes, mais les descendants des populations germaniques déplacées pendant la guerre de Trente Ans. Les Roms se sont installés en Europe centrale et orientale.

La présence de Tsiganes est attestée pour la première fois en France au XVe siècle. Ils présentaient des lettres de recommandation des princes de Bohème ou du Pape. Les textes décrivaient des troupes de quelques dizaines de personnes, de toutes conditions, guidées par un chef toujours désigné comme duc ou comte de Petite Égypte, une contrée d’où ils prétendaient venir. Les villes les accueillaient en pèlerins, les gratifiant d’une aumône et de dons en nature.

Mais l’âge d’or ne dure pas et les relations se dégradent rapidement. Dénoncés comme trublions, accusés de quelques larcins, confondus avec les bandes de vagabonds criminels et enrôlés comme soldats par les nobles, ils commencent à susciter le mécontentement populaire.

Au fil du temps, ils seront arrêtés, exécutés, expulsés, déportés aux galères, au bagne ou dans des camps. L’arrivée au XIXe siècle de Tsiganes d’Europe orientale, nouvellement affranchis de l’esclavage, ravive la crainte ancestrale des nomades. C’est aussi à cette époque que les roulottes remplacent les tentes, rendant les convois plus impressionnants. Le déplacement est encore plus suspect en temps de guerre et ils sont accusés d’espionnage au profit de l’ennemi.

L’un des premiers fichiers concerne les nomades

En 1895, le gouvernement français procède au recensement de tous les « nomades » et près de 8.000 d’entre eux sont photographiés. C’est l’un des premiers fichiers centralisés de l’histoire. La presse parle de fléau et un sénateur déclare que « ces roulottiers, camps volants, Bohémiens, Romanichels sont la terreur de nos campagnes ». Plus tard, la loi de 1912 rend obligatoire, pour les nomades de plus de 13 ans, la possession d’un « carnet anthropométrique ».

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Celui-ci doit être visé à chaque arrivée et départ d’une commune. Outre le nom, prénom, surnom, date et lieu de naissance, il comporte aussi différentes mensurations et des photos de face et de profil. La loi indique que « le chef de famille devra se munir d’un carnet collectif comprenant tous les membres de la famille », ce qui permet d’identifier tout le groupe. En 1940, tous les porteurs du carnet anthropométrique sont internés dans des camps, que les derniers ne quitteront qu'en 1946.

Malgré la tragédie qu’ils ont connue pendant la Seconde Guerre mondiale, la situation juridique des Voyageurs tarde à s’améliorer. Le carnet anthropométrique est remplacé en 1969 par le livret et le carnet de circulation, selon que l’individu peut justifier ou non de ressources régulières. Toujours cette obligation de détenir un document discriminatoire et de le faire tamponner aux autorités plus ou moins régulièrement. L’inégalité existe aussi sur le plan civique puisqu’ils doivent prouver leur attachement à une commune pendant trois ans avant de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales, contre six mois pour les autres citoyens.

Malgré la rareté des aires d’accueil et la difficulté croissante pour trouver des emplacements, la loi pour la sécurité intérieure de 2003 a créé un nouveau délit d’occupation illégale de terrain visant directement les Gens du Voyage. En 2007, c’est le préfet, et non plus le juge, qui a le pouvoir de les expulser.

Le Conseil constitutionnel a toutefois considéré en 2012 que le carnet de circulation, qui devait être visé tous les trois mois au poste de police ou de gendarmerie, constituait une « atteinte disproportionnée à l’exercice de la liberté d’aller et venir ». Il a aussi abrogé les trois ans d’attente avant de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales. Mais les Sages n’ont pas jugé utile de supprimer le livret de circulation, à faire renouveler tous les un à cinq ans en préfecture ainsi que le quota maximum de « Gens du Voyage »  domiciliés par commune, qui ne peut pas excéder 3%.

Zor


Cet article est tiré du dossier "Nomades d'aujourd'hui", publié dans Lutopik numéro 4. Ce magazine papier fonctionne sans publicité ni subvention et ne peut continuer d'exister que grace à ses lecteurs. Si vous appréciez Lutopik, vous pouvez vous abonner, commander un exemplaire (rendez-vous ici) ou nous faire un don.


 

Commentaires

bah oui, carnet ou livret de circulation normalement obligatoire pour tous SDF, de plus de 16 ans prévu par la loi avec pointage en gendarmerie (ou commissariat), moins appliquée maintenant la loi est encore là sauf erreur de ma part, de mon côté je ne l'ai jamais eut mais des amis l'ont eut, ils ne pouvaient pas changer de villes département sans pointer