Les Croqueurs de Carottes : cultiver la diversité

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Alors que la plupart des semenciers ne proposent que des variétés hybrides et un catalogue en bio assez pauvre, les Croqueurs de carottes fédèrent des professionnels qui travaillent sur des variétés potagères traditionnelles. C’est le cas de Graines del Pais, un petit semencier bio installé dans Aude. 

Avant de lancer Graines del Pais avec deux amis, Jean-Luc Brault produisait des semences pour le compte de gros semenciers. Principalement des hybrides F1, obtenus à partir du croisement de lignées pures et qui dégénèrent dès la seconde génération. L’intérêt pour les semenciers est évident : d’une année sur l’autre, les maraîchers sont obligés de racheter des graines. Aujourd’hui, même en bio, les catalogues ne proposent presque plus que des F1 et le choix est assez maigre comparé aux milliers de variétés existantes. Pour faire leurs graines, les semenciers confient le travail à des paysans producteurs.

S’il voulait poursuivre dans cette voie, Jean-Luc Brault aurait dû, en 2005, agrandir considérablement son exploitation. Au lieu de ça, il décide d’arrêter cette activité qui ne lui convient pas et lance sa propre entreprise de production de semences. Aujourd’hui, avec une vingtaine d'autres paysans producteurs, il fait revivre des centaines de variétés de fleurs, potagères et plantes aromatiques tombées dans l’oubli. Ses critères de sélection sont loin de ceux des semenciers classiques. Aux variétés à fortes capacités d’absorption d’azote, de rendement ou de conservation, il oppose des variétés qui ont du goût et qui sont capables de s’adapter aux territoires où elles sont cultivées. 

Des variétés anciennes non inscrites au Catalogue officiel

Dès le départ, Graines del Pais rejoint les Croqueurs de Carottes, qui œuvrent pour la sauvegarde des variétés traditionnelles. Recensement et maintenance des variétés anciennes, échanges de savoir-faire, diffusion de documents techniques, etc., l’association, qui regroupe aujourd’hui six semenciers bio, agit sur plusieurs fronts pour éviter que des centaines de variétés ne disparaissent. 

La plupart des plantes de Graines del Pais ne sont pas répertoriées au catalogue officiel des variétés commercialisables puisqu’elles ne répondent pas aux critères d’homogénéité et de stabilité exigés. Et pour cause, c’est justement leur diversité au sein même d’une variété que cultive Jean-Luc Brault. Celle qui permet aux plantes d’évoluer génération après génération pour s’acclimater au terrain et au mode de culture utilisé, sans avoir besoin d’une béquille chimique. Il pourrait essayer de les inscrire à l’annexe du catalogue réservée aux  « variétés de conservation », mais le coût, les restrictions de commercialisation et les critères d’homogénéité encore trop drastiques rendent la mission difficile. « Inscrire une variété coûte 250€. C’est hors de portée pour une petite entreprise comme la nôtre [son chiffre d’affaires est de 130.000€], qui propose environ 500 variétés différentes », explique Jean-Luc Brault. Les Croqueurs de Carottes parviennent cependant à inscrire quelques variétés, mais très peu au regard de ce qui existe.  

Pour vendre ses produits, Graines del Pais suit les recommandations des Croqueurs de Carottes, qui estiment que la réglementation les autorise à vendre des semences non inscrites au catalogue à condition de préciser sur l’étiquette qu’il s’agit de graines destinées à un usage non commercial (une interprétation de la loi que ne partage pas le GNIS, le Groupement national interprofessionnel des semences, pour qui toute commercialisation de variétés non inscrites est interdite). Graines del Pais vend donc ses graines en petits sachets portant cette mention, même si ses clients ne sont pas tous des jardiniers amateurs. Il a aussi pris sa carte du GNIS, une obligation pour tout semencier. Grâce aux Croqueurs de Carottes, le coût de cette inscription a été négocié et la société paye chaque année 250€ au lieu de 750€.

Comme les autres semenciers de l’association, Graines del Pais est soumis à de nombreux contrôles du GNIS. Ils n’ont cependant pas intenté de procès jusqu’à maintenant. « Le GNIS se contente de faire pression car ils savent bien que s’ils attaquent en justice, on a les Croqueurs de Carottes et le Réseau Semences Paysannes qui nous soutiendrons. Et même s’ils gagnent juridiquement, ils ont trop à perdre au niveau de l’opinion publique », souligne Jean-Luc Brault.

Sonia

 

Cet article est tiré du dossier "Menaces sur les semences paysannes", paru dans le magazine papier numéro 2 qui est sorti de presse début décembre. Pour le commander c'est ici,

Sommaire de notre dossier :

Introduction : Les paysans dépossédés de leurs graines 

Législation :  Une réglementation floue

                            Le GNIS, un groupement tout puissant

                            Brevets et COV, deux outils d'appropriation du vivant

Potagères : Faire ses semences, un savoir oublié des paysans

                         Sur les traces de l'oignon de Tarassac

                         Les Croqueurs de Carottes : le goût retrouvé

Céréales : L'INRA conserve des grains et invente les blés de demain

                       Des céréales en montagne

                       Blés en mélange

En pratique : Faites vos graines


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