Permaculture : la ferme du Bec Hellouin en débat

La ferme du Bec Hellouin est un centre d’expérimentation, de formation et de promotion de la « micro-agriculture bio intensive ». Si les techniques employées sur le terrain sont souvent prometteuses et ingénieuses, certaines de ses méthodes agacent, et les résultats de l’étude scientifique sont l’objet de polémiques. Dire qu'il est possible pour un agriculteur de vivre de son travail sur une surface de seulement 1.000 m² fait débat, tout comme l'utilisation intensive du fumier. Après notre article, vous pourrez retrouver le droit de réponse de Charles Hervé-Gruyer, fondateur de la ferme du Bec Hellouin.

Vivre convenablement comme agriculteur en cultivant à peine 1.000 m², on en parle dans la presse, dans les livres, sur les ondes ou à la télé. La ferme du Bec Hellouin bénéficie d’une large couverture médiatique plutôt inattendue au regard du caractère radical des pratiques agricoles employées sur le terrain. L’objectif de sa méthode « est de réaliser une production très intensive, sur une très petite surface cultivée, de manière naturelle et pratiquement sans recours aux énergies fossiles ».

La démarche est séduisante et ambitieuse, et nous avions nous aussi consacré trois pages au Bec en reprenant un article initialement publié par notre partenaire Basta ! Il clôturait notre précédent dossier sur l’agriculture biologique et son adaptation au marché de masse. Ce reportage, qui faisait état du succès de la méthode, a fait réagir certains d’entre vous, étonnés d’entendre « encore » parler de la ferme du Bec Hellouin, devenue presque l’unique exemple cité lorsqu’on parle de permaculture. Ce statut de référence provient en grande partie d’une étude menée sur place. Nous avons décidé de revenir sur cette histoire dont plusieurs éléments nous avaient échappé.

Un nouveau rapport d'étape

Les fondateurs de la ferme, Charles et Perrine Hervé-Gruyer, découvrent la permaculture en 2008 et décident d’associer cette approche avec d’autres techniques, notamment celles des maraîchers parisiens du XIXe siècle. Ils constatent une augmentation rapide des rendements et sont persuadés qu’avec cette méthode, un agriculteur peut vivre de son travail sur une toute petite surface. Pour le démontrer, ils formulent un projet de recherche et l’étude « Maraîchage biologique en permaculture et performance économique » débute en 2011. Elle est menée par l’Institut Sylva, domicilié au Bec Hellouin, en partenariat avec une unité mixte de recherche Inra/AgroParisTech dédiée à l’agriculture urbaine.

L’étude porte sur 1.000 m² de surfaces cultivés, isolés virtuellement du reste de la ferme, sur lesquels toutes les heures de travail sont comptabilisées et la performance économique estimée. Les premiers résultats sont prometteurs et annoncent un chiffre d’affaires potentiel de 32.000 € sur une année, si toutefois l’ensemble de la production issue des parcelles était vendu. Il était alors souligné qu’un emploi au Smic pouvait être créé sur un dixième d’hectare. Le dernier rapport d’étape note encore une progression et mentionne que « sur une année, de septembre 2013 à août 2014, et sur 1.000m² cultivés, la valeur récoltée est de 50.800 €, pour une charge de travail sur les parcelles de 2.000 heures ».

Cette fois-ci, le nouveau rapport indique cependant que la charge de travail serait trop importante pour une personne seule, d’autant  que les heures ne prennent pas en compte le temps passé à l’entretien général du site et du matériel, la gestion et la commercialisation notamment, et qu’il existe des pics de charge ponctuels. Les opérations de désherbage, par exemple, demandent beaucoup d’heures et doivent être réalisées dans un intervalle de temps court. Si au Bec-Hellouin elles sont facilement surmontables grâce aux nombreux stagiaires présents sur place, elles seraient sans eux difficilement réalisables. Pour Sacha Guégan, ingénieur de l’institut Sylva, rédacteur des rapports et formateur à la ferme, cette surcharge de travail est compensée par le meilleur rendement économique. Pour un agriculteur qui travaillerait seul, il préconise trois pistes : la diminution de la surface cultivée, la possibilité d’un recours à de la main-d’œuvre rémunérée et l’amélioration de l’efficacité du travail. En appliquant  « une règle de trois », il serait possible selon lui de vivre avec une surface cultivée de  700 m².

Cette affirmation est très controversée. Certains estiment peu plausible la reproduction de cette expérience, qui ne correspond pas à la réalité d’une ferme et ne représente pas un écosystème complet. Un article de juin 2013 du magazine de la Coordination AgroBiologique (CAB) des Pays de la Loire mentionne que la ferme du Bec a réalisé la moitié de son chiffre d’affaires sur les 1.000 m² de l’étude, qui ne représentent pourtant qu’un quart de sa surface totale. Cela peut s’expliquer par la concentration sur cette parcelle de légumes à plus forte valeur ajoutée que sur le reste de la ferme, notamment des mini-légumes et des fleurs vendus au « prix restaurant » . Ils sont vendus beaucoup plus chers que le prix moyen des légumes et ce débouché représente 24 % du dernier chiffre d’affaires connu des parcelles étudiées. Si la diversification des circuits de commercialisation est un atout pour toute activité maraîchère, peu pourront bénéficier d’un partenariat avec un restaurant gastronomique.

Si les rapports montrent qu’il serait théoriquement possible de tirer un revenu conséquent sur une si petite surface, beaucoup font une lecture un peu trop rapide des rapports. « Il est impossible d’avoir des résultats fiables en si peu de temps. En agriculture, il faut se baser sur au moins dix ans pour avoir un retour d’expérience », avance Christophe Gatineau, qui se présente comme cultivateur usant de techniques de la permaculture et auteur d’un livre sur le sujet. Pour lui, 1.000 m² ne suffisent pas pour développer un système durable. L’intense exposition du Bec Hellouin agace et le principal reproche qui lui est adressé est sa communication tous azimuts du message principal de l’étude : tout le monde est capable de s’installer sur une petite surface en s’inspirant des méthodes de la ferme et peut espérer parvenir aux mêmes résultats.

Les gens doivent réfléchir à leur propre système

Un procès balayé par Perrine Hervé-Gruyer qui souligne que chaque porteur de projet doit être averti des difficultés d’une telle entreprise et de la nécessité d’une formation. « Nous avons commencé en 2006 et aujourd’hui le système marche. On sort la tête de l’eau, mais on en bave tous les jours », insiste-t-elle. « Les chiffres prouvent que c’est possible. Les principes employés ici peuvent être utilisés ailleurs, en essayant de trouver les solutions techniques les plus adaptées au site. Il n’est pas question de faire un copier-coller, cela ne marcherait pas. Les gens doivent réfléchir à leur propre système et aboutir à une agriculture sur mesure », précise Sacha Guégan. « L’étude porte sur 1000 m² cultivés, sans les allées, dans une ferme qui peut être plus grande que ça, avec des bâtiments, de l’élevage, de la culture d’engrais verts, de céréales… Nous n’avons jamais dit qu’une ferme de 1.000 m² peut être viable, mais plein de gens vont voir les banquiers avec un projet de 1.000 m² et veulent s’installer comme agriculteur », affirme Kevin Morel, doctorant au sein de l’équipe Agricultures urbaines d’une unité de l’Inra et d’AgroParisTech

Pour le scientifique, « les maraîchers et le milieu agricole ont du mal à accepter ces chiffres car ils le ramènent à ce qu'ils connaissent: c'est-à-dire le maraîchage bio diversifié standard, mécanisé sur petite surface. Dans ce modèle, le maraîcher cultive seulement 10 % de sa surface en moyenne (chiffres du GAB) en serre et le reste à l'extérieur avec souvent un petit tracteur. Il cultive en général des cultures de garde (pommes de terre, carottes, poireaux) qui occupent une part importante de son espace. L'espacement entre les légumes est relativement important, car il est conditionné par les outils associés au tracteur (espace pour laisser passer les roues et espace entre les rangs pour le désherbage mécanique). C'est en gros la norme dans l'image que les gens ont du maraîchage diversifié ».

Il poursuit en évoquant les spécificités du cas étudié. « Sur les 1.000 m² du Bec Hellouin, on se situe dans un autre paradigme, dans une autre vision, beaucoup plus intensive de l'utilisation de l'espace. Cela se traduit par une part importante de serres sur la surface cultivée (autour de 40 %), le recours au travail manuel pour densifier, associer, soigner le sol et les cultures. Cette vision entend focaliser la production sur une petite surface afin de libérer d'autres espaces sur la ferme pour d'autres milieux (vergers, petit élevage, zone naturelle) afin de créer à l'échelle de la ferme une mosaïque de paysages. Le but est bien sûr de pouvoir bénéficier des interactions entre ces différents paysages et pour le faire le mieux possible, l'idée du design permaculturel est mobilisée ».

Pour Christophe Gatineau, tout cela reste du bio intensif. « La terre est en surproduction. Dans une logique de rendements, la matière organique est exportée en grande quantité avec la vente de légumes. Il faut donc forcément rapporter des intrants ». Cet apport est aussi la source de certaines critiques. La terre du Bec n’était pas d’une très bonne qualité agronomique, il a donc d’abord fallu créer un sol. Selon la méthode de la ferme, « l'un des moyens utilisés peut être un apport massif de fumier bien décomposé ou de compost, jusqu'à 1.000 tonnes à l'hectare », une mention qui a d’ailleurs été supprimée dans la dernière version en ligne.

Eux ont utilisé un tas de fumier décomposé depuis une dizaine d’années. La quantité exacte n’est pas connue, mais certains évoquent un possible dépassement du plafond d’azote organique d’origine animal autorisé par les directives nitrates (Le Taupin du maraîcher, juin 2014). La ferme s’en défend en invoquant sa certification biologique. Les quantités de fumier apportées régulièrement seraient de l’ordre de 30 tonnes toutes les 30 semaines pour l’ensemble de la ferme selon le responsable du centre équestre qui fournit le fumier. Ce chiffre n’est pas confirmé par les propriétaires du Bec Hellouin. Ils le disent exagéré, mais ne sont pas en mesure d’en avancer un autre. S’il s’avérait exact, il dépasserait allégrement les doses épandues en moyenne par les maraîchers, de l’ordre de 20 t/ha.

Cela s’explique en partie par l’emploi de la technique des couches chaudes, utilisées sur 165 m² de la parcelle de 1000 m² liée à l’étude. Elles sont confectionnées avec 60-70 cm de fumier recouvert de  15-20 cm de terre arable. Avec leur dégagement de chaleur, elles permettent une mise en culture plus précoce et peuvent éviter certains dégâts liés aux gelées tardives, tout en apportant une fertilisation conséquente aux cultures. L’inconnue de la quantité d’azote présente dans ces buttes pose quelques questions. « On ne connaît pas la dose d’effluents organiques, la libération d’azote qui part en pollution », explique Manu Bué, technicien au sein du GAB Finistère. « La dose d’azote ne dépend pas uniquement du besoin des plantes, il faut aussi prendre en compte la capacité du sol à fixer les éléments. Ce que l’on a vu au Bec ressemble plutôt à une zone humide, à un sol hydromorphe. Il peut y avoir des problèmes de lessivage », ajoute-t-il. Les 2/3 des couches chaudes sur les parcelles de l’étude sont situées à l’abri sous une serre. Les lessivages sont moins importants que sur les buttes extérieures, mais les effluents ne sont pas du tout étudiés ou évoqués dans les rapports. L’équipe de la ferme est consciente de ce manque et affirme que le sujet sera approfondi dans les prochaines publications.

Des formations onéreuses

Sans qu’ils ne soient forcément au courant des limites de l’expérience, les stagiaires se bousculent au Bec. Les formations se vendent bien, un stage d’une semaine coûtera 115 € pour la journée, 525 € les 5 jours ou 1050 €  pour 10 jours de Cours certifié de permaculture. L’hébergement est facturé 10  € par nuit pour un futon dans la salle de formation ou pour planter sa tente, 20 ou 25 € pour une chambre et 30 € pour la roulotte. Si vous n’avez pas de sac de couchage ou de draps, vous pourrez toujours en louer pour 20 € par stage… Pour ce prix, la nourriture n’est pas comprise. Comptez 25 € par jour en pension complète. Pas accessible à tout le monde donc, même si le centre est habilité à recevoir l’aide à la formation, de pôle-emploi par exemple. Pour les organisateurs, ces prix sont justifiés par le financement du lieu de formation, la rémunération des intervenants ainsi que du cuisinier.
Si beaucoup de stagiaires sont satisfaits de leur passage au Bec, des voix discordantes s’élèvent. « Ils veulent faire la deuxième révolution verte », s’énerve l’un d’eux, très déçu de son déplacement et du contenu de la formation. « En intensifiant la production biologique, ils dévient des choses positives pour en faire un cauchemar direct. Ils ne sont pas dans l’esprit vivrier. Ils vendent la permaculture comme un procédé d’autonomisation, mais où sont leurs patates, leurs oignons ? » Le dernier rapport indique en effet qu’il n’est pas possible de cultiver sur une si petite surface la quantité  de légumes de garde nécessaire pour approvisionner les clients pendant l’hiver.

La mise en lumière de certaines pratiques, méthodes, et outils innovants est de l’ordre de l’intérêt public tellement nous avons besoin de changer notre modèle agricole et d’explorer des pistes nouvelles. Mais il ne faut pas non plus tomber dans le fantasme d’une trop grande facilité et crier trop vite au miracle, ce serait le risque de trop grandes désillusions. Avant de tirer des conclusions trop hâtives, il est nécessaire d’attendre la publication des résultats définitifs des travaux scientifiques en cours.

Guillaume

Les micro-fermes essaiment

Les projets de micro-fermes sont à la mode. L’association Fermes d’avenir, qui pilote une expérience de maraîchage permaculturel au domaine de la Bourdaisière, près de Tours, a elle fait le pari de convaincre certains groupes industriels ou grandes surfaces « de travailler de concert avec des fermes agroécologiques ». Ils misent sur l’essaimage d’un réseau de 50.000 micro-fermes, si possible en contrat avec des distributeurs. De la permaculture au capitalisme vert, il n’y a qu’un pas.

Voir notre article sur les micro-fermes selon "fermes d'avenir", qui associe permaculture et capitalisme : http://www.lutopik.com/article/des-micro-fermes-pour-micro-changement-so...

 



 

La ferme du Bec Helloin nous écrit

Suite à l’article de notre dernière édition qui critiquait certaines méthodes à l’œuvre à la ferme permaculturelle du Bec Hellouin, Charles-Hervé Gruyer, fondateur des lieux, a souhaité réagir. Voici donc son droit de réponse.

La ferme du Bec Hellouin, que vous présentez comme un centre d’expérimentation, de formation et de promotion, est avant tout une ferme. Nous avons la chance de mener depuis 2011 un programme de recherche avec de merveilleux agronomes, qui permet de poser quelques jalons scientifiquement validés sur une pratique très neuve en France : une agriculture bio-inspirée, pratiquée à la main sur un petit territoire extrêmement soigné. Les résultats de cette étude sont surprenants : ils démontrent qu’il est possible de pratiquer le maraîchage et l’arboriculture sur une toute petite surface, sans mécanisation, et d’en vivre. Travailler à la main, être petit, cela semble tellement incongru de nos jours ! Et pourtant, les chiffres valident la pertinence de cette approche.

Médiatisation

Cette étude suscite beaucoup d’espoir. Elle donne quelques éléments de réponse, mais pose plus encore de questions. La première étude s’achève en mars 2015, elle aura largement démontré la viabilité économique d’une microferme permaculturelle. Elle sera suivie d’une seconde étude, qui s’intéressera à la viabilité écologique et sociétale de la microferme. Nous avons en effet constaté, chemin faisant, nombre d’externalités positives dans cette approche : une création d’humus, une amélioration de la biodiversité, une séquestration de carbone dans les sols et les arbres, une amélioration des paysages, la création d’emplois et de lien social, etc. Cette étude portera également sur les flux (de matière organique, d’énergie…), à l’intérieur de la ferme et dans son écosystème local.

Depuis plusieurs années notre ferme, en partie du fait des résultats étonnants de cette étude, est effectivement médiatisée. Excessivement peut-être ? Sachez que nous ne retirons aucune satisfaction personnelle, bien au contraire, à voir notre travail, notre lieu de vie, le lieu où nous élevons nos enfants, ainsi exposé à la vue de millions de personnes, avec le risque de susciter des jalousies, des incompréhensions. Nous ne sollicitons jamais aucun média – pas plus vous que les autres. Si les journalistes viennent, et souvent reviennent au Bec Hellouin, c’est parce que ce qui s’élabore ici vaut la peine d’être raconté : cela offre un élément de réponse à certains problèmes du monde contemporain. La micro-agriculture peut contribuer à résoudre quelques grands défis d’aujourd’hui, comme la faim dans le monde, la dérive du climat, la dépendance énergétique, la sécurité alimentaire, le chômage, la perte des terres arables, l’érosion de la biodiversité, etc.

Créer du sol

La perte de terre arable, qui n’est guère moindre en agriculture bio mécanisée qu’en conventionnel d’après certains spécialistes comme John Jeavons, est un immense problème : 30 % des terres arables de la planète ont été désertifiées par de mauvaises pratiques au cours des décennies écoulées, et l’on perd de 6 à 16 tonnes de sol pour chaque tonne d’aliment produit. Au Bec Hellouin, nous sommes, dans notre fond de vallée, dans un contexte très peu propice aux cultures maraîchères : une maigre couche de sol peu fertile sur un sous-sol de cailloux. Créer du sol est donc pour nous une obsession. Et nous apprenons beaucoup de ce contexte ingrat.

Vous nous reprochez d’utiliser en de trop grandes quantités le fumier du club hippique. Tirer parti d’une ressource locale et gratuite pour créer du sol mériterait un regard plus positif. Pour clarifier les choses, sachez que nous avons, lors de la création de certains jardins, utilisé du vieux compost du club pour gagner en épaisseur de substrat. L’un des intérêts de la micro-agriculture est que nous travaillons sur des jardins si petits qu’il devient vraiment possible de créer du sol. Ces apports de vieux compost ont été réalisés en une seule fois, à la création du jardin. Toutefois, la surface de 1000 m2 cultivée dédiée à l’étude n’a pratiquement pas été concernée par ces apports (seuls les jardins baptisés Rivière et Pommiers dans nos rapports ont bénéficié de ce compost). Ce n’est qu’en 2014 que nous avons importé en quantité du fumier frais pour une expérience d’un grand intérêt.

Les couches chaudes

Suite à un essai positif à petite échelle en 2013, nous avons décidé en 2014 de tester le système des couches chaudes, une merveilleuse technique largement oubliée depuis que les énergies fossiles sont devenues abondantes et peu coûteuses, car elle demande beaucoup de travail. Les jardiniers-maraîchers parisiens du XIXème siècle l’ont portée à son apogée, ce qui leur permettait de digérer le fumier produit par la capitale et de la nourrir en retour. Nous avons suivi à la lettre le protocole décrit dans un ouvrage de 1845, et constaté qu’effectivement les couches chaudes dégageaient, sans une goutte de pétrole, une énergie suffisante pour chauffer la terre à plus de 20°C dès janvier. Une fois compostées, elles laissent en place une belle épaisseur d’un merveilleux terreau.

Cet apport ne concerne qu’une toute petite partie de la surface cultivée, et ce, uniquement en année 3 de l’étude : il ne peut donc en discréditer les résultats. Les couches chaudes ont mesuré 165 m2 au total, sur une épaisseur allant de 65 cm, pour les couches chaudes réalisées en janvier, à 40 cm pour celles d’avril. Le fumier a également été utilisé pour mulcher les allées dans l’ensemble de nos jardins. Voici donc une technique héritée de l’agriculture pré-industrielle qui se révèle productive et susceptible de créer de la fertilité. Elle peut être un espoir pour contribuer à nous nourrir demain, lorsque le pétrole deviendra inabordable pour les agriculteurs.

Le fumier utilisé reste très en deçà de la quantité réglementaire et notre contrôleuse Ecocert n’y a rien vu de négatif. Voici ce que nous écrivait cette semaine Sylvain Barq, notre conseiller maraîchage du GRAB HN : « Concernant les apports d'azote organique, la limite est de 170kg/Ha/an en moyenne lissée sur l'ensemble des surfaces épandables. C'est-à-dire que certaines surfaces peuvent en recevoir plus (c'est souvent le cas des serres et du maraîchage) si d'autres en reçoivent moins (c'est souvent le cas des herbages ou céréales).Cette limite est autant fixée par le cahier des charges AB que par la directive nitrate pour les zones vulnérables (toute la région chez nous...). »

Le calcul est simple à réaliser. Sachant qu’une tonne de fumier représente en moyenne 2 à 4 m3, et que le fumier qui nous est livré est très pailleux (provenant des boxs des chevaux il recueille peu d’excréments), il contient donc environ 3 à 5,5 kilos d’azote à la tonne, on peut en déduire que les 50 tonnes de fumier utilisées cette année (quantité probablement surévaluée), représentent, dans l’hypothèse la plus haute, 275 kilos d’azote. Le site sur lequel sont implantés nos jardins fait 5 hectares et nous donne droit à un apport annuel de 170 kilos x 5, soit 850 kilos d’azote. Nous sommes donc très, très loin de la limite fixée par la législation. Pour que tout soit clair, ces 50 tonnes (maximum) de fumier ont servi également à d’autres parcelles maraîchères que celles de l’étude. Et nous n’achetons aucun engrais à l’extérieur depuis cette année.

Nous cherchons des solutions pour créer du sol, supprimer le recours aux nappes chauffantes électriques et au chauffage des serres au gaz ou au pétrole en début de saison. Ce sont des enjeux importants et la recherche appliquée est pleinement justifiée. En définitive, nos couches chaudes de cette année ont produit davantage que des légumes et de l’humus : elles ont également produit de la connaissance. Une connaissance dont nous avons besoin pour inventer l’agriculture post-pétrole.

Coopérations

Il nous arrive de compléter notre propre production en achetant à un confrère en bio des pommes de terre, carottes, betteraves, et parfois des poireaux, en hiver (ces achats représentent environ 1,2 % du chiffre d’affaires légumes de l’ensemble de la ferme). Ce collègue cultive environ 4 variétés de légumes de plein champ sur 40 hectares, nous sommes à environ 1.000 variétés de fruits, légumes, plantes aromatiques sur quelques hectares. Il semble pleinement justifié, et c’est une stratégie de plus en plus adoptée par les maraîchers bio, de se spécialiser sur ce que l’on aime faire, et sur ce que votre terroir produit le mieux, et de collaborer avec des collègues pour compléter sa production. D’autres choix sont possibles, notre ferme n’à aucunement la prétention d’être un exemple et encore moins un modèle à suivre et dupliquer. Nous cultivons aussi des pommes de terre en traction animale, hors du périmètre de l’étude.

Est-il facile de créer une microferme ?

Vous laissez entendre que, selon nous, tout un chacun peut créer une microferme. Ce modèle est en effet tellement attractif qu’un nombre croissant de personnes souhaite se lancer dans l’aventure, souvent sans rien y connaître (comme nous au début). Nous ne cessons d’insister toutefois sur la nécessité de bien se préparer. C’est pour faciliter la transition vers ce métier, ou tout simplement vers l’autonomie alimentaire, que nous écrivons, réalisons des films pédagogiques, avons créé un Fonds documentaire accessible gratuitement à tous, et proposons des formations. Nous y mettons le même effort et sérieux que dans nos jardins, conscients du fait que les personnes qui y consacrent leur temps et leur argent doivent en retour en retirer un maximum. Chacune de nos formations principales mobilise les 8 permanents de la ferme et souvent des animateurs ponctuels, décemment rémunérés. Tout cela représente un coût, certes, mais soyez assuré que nombre de personnes préfèrent investir un peu plus dans une formation de qualité dont ils retireront davantage.

En conclusion, j’espère que tous ceux qui sont sensibles à l’avenir de notre planète sauront s’unir pour avancer, riches de leurs différences. Il y a un sport national, en France : tirer à vue sur ceux qui bougent. Allons-nous reproduire sur la planète écolo la compétition féroce que nous dénonçons par ailleurs ? Les solutions, qui peut prétendre les détenir ? Il nous faut les inventer ensemble, chacun selon ses talents, dans le respect d’autrui.

Pour l’équipe de la ferme du Bec Hellouin, le 24 décembre 2014.
Charles Hervé-Gruyer

 

Commentaires

Critiques justifiées mais qui oublie l essentiel la productivité est catastrophique les 50000 € de ca sont théoriques l étude le ramène à 35000 € réel et surtout il y a 6500€ d achats de plants et semences c'est énorme

La productivité doit être exprimée en rendements physiques et non en Chiffre d'affaires. Un Ca identique peut être le fait de quantités de production très différentes selon la valorisation des produits de la ferme.

Courage et félicitation! Ce que le Créateur à fait vous le remettez en "MARCHE"et c'est MERVEILLEUX! CONTINUEZ+++Jérôme+

j'avais lu le rapport en son temps, et un peu enquêté: 1- Charles Hervé-Gruyer est propriétaire de Bec Hellouin depuis plus de 25 ans http://www.societe.com/societe/monsieur-charles-herve-gruyer-380222836.html 2- Ce qui m'avait amené sur Fleur de Lampaul et les rapports de Charles-Hervé Gruyer avec les médias, et par là à sa société Archipel: http://dirigeants.bfmtv.com/Charles-HERVE-GRUYER-3246885/ qui réalise un chiffre d'affaires de 248 308€ en 2013 Il faut dire que sa médiatisation m'énerve un peu parfois ....