Enfouissement des déchets nucléaires : la folie des grandeurs

Enfouir à 490 mètres de profondeur 100.000 m³ de déchets qui concentrent à eux seuls plus de 99 % de la radioactivité de nos déchets nucléaires, miser sur une couche d’argile pour les confiner pendant des millions d’années et espérer que pendant ce laps de temps, aucun homme ne pénétrera dans cet endroit : voilà le pari de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) dans la Meuse.

Ce projet pharaonique a un nom : Cigéo, pour Centre industriel de stockage géologique. Son objectif : confiner sous terre pour l'éternité les déchets les plus radioactifs produits par l'industrie nucléaire depuis soixante ans. À l’étude depuis les années 1990, il aura fallu une décennie à l’Andra pour trouver un lieu où les enterrer. Ce sera finalement à la frontière de la Meuse et de la Haute-Marne. Les recherches géologiques ont déterminé que l'argile présente ici était apte à héberger des déchets de moyenne et haute activité à vie longue pendant des millions d'années. Les études sociologiques ont conclu quant à elles à l’acceptabilité probable du projet dans une zone à très faible densité où la population est vieillissante. Ce qui risque d'être enfoui ici ne représente que 4 % du volume des déchets nucléaires français, mais ils concentrent plus de 99 % de la radioactivité (cf. encadré). Ils restent dangereux pendant des milliers d’années. C'est donc un stockage à haut risque que l'Andra souhaite entreprendre.

Visite guidée et surveillée

L’agence accueille le public gratuitement dans son centre de Bure pour lui présenter son projet. Avant de commencer la visite dans les bâtiments flambant neufs, il faut impérativement échanger sa carte d’identité contre un badge. On est peu nombreux ce samedi après-midi. Seulement trois personnes au départ, cinq avec les retardataires. Mais l’Andra nous sort quand même le grand jeu. Une conférencière, juste pour notre petit groupe, se présente d’un sourire affable et nous invite à la suivre dans un auditorium doté d’un grand écran. C’est parti pour une heure de diapositives explicatives sur la gestion des déchets nucléaires. « Ne pas hésiter à l’interrompre », nous dit-elle. La jeune femme est calée et son discours est rôdé. Elle s’adapte vite à son public et répond à nos questions, que ce soit sur des sujets scientifiques ou plus politiques. On apprend ainsi qu’il faudra creuser entre 15 et 20 km² de galeries à une profondeur de 490 mètres sous terre. Autre information, la création d'une zone de réception et de stockage des déchets radioactifs en surface. Couvrant environ 100 hectares, elle sera en service jusqu'en 2127, date de la fin de l'exploitation de Cigéo. L'employée de l'Andra nous apprend aussi que 300 trains ou 700 camions par an seront nécessaires pour acheminer gravats, matériaux et déchets nucléaires. Quant au financement, il est « encore à l’étude ». La première estimation est de 15 milliards d’euros, mais l'Andra parle aujourd'hui de 36 milliards d'euros. Des coûts difficilement supportables pour les principaux bailleurs de fonds (EDF, Areva et le CEA), qui tentent de négocier sur tous les points possibles. Les diapos sont finies, on quitte la salle de projection.

Après avoir rapidement traversé l’exposition temporaire consacrée aux fossiles, la visite se poursuit au sous-sol. Quelques galeries ont été reconstituées, comme celles qui sont creusées 500 mètres plus bas dans le laboratoire. Un agent de sécurité a fait son apparition et nous suit à chaque pas. « L’an passé, un conférencier a été enfariné », justifie notre guide. La jeune femme nous explique comment les déchets seront emballés dans des colis en métal, eux-mêmes enfermés dans une enceinte de béton, avant d'emprunter une descenderie de cinq kilomètres menant aux alvéoles souterraines. Ces contenants sont prévus pour résister environ mille ans. Après, seule l’argile assurera le confinement. Matériel scientifique à l’appui, elle nous montre comment la roche résistera à la température des déchets, de l’ordre de 70 °C lorsqu’ils seront descendus ; comment elle retiendra l’eau, donc les particules radioactives, comment les sismographes enregistrent les mouvements géologiques, etc. Car cette couche d’argile compacte devra jouer son rôle de tombeau stable et inviolable durant des millions d’années ! « Je comprends que cela peut sembler difficile à imaginer, mais les études scientifiques ont démontré la faisabilité de ce stockage. On peut garantir la stabilité des matériaux pendant des milliers d’années », tente de rassurer la conférencière. Ce temps, très long, pose aussi des questions d’ordre sociétal. Comment faire savoir aux générations futures qu’ils ne doivent pas creuser ici ? La réponse proposée par l’Andra semble dérisoire : elle préconise de stocker les archives sur du papier « permanent ».Soumise par un artiste, l'idée d'instaurer un rite tel que jeter de la terre tous les 30 ans sur le site est aussi à l’étude. Peut-être l'Andra créera-t-elle une nouvelle religion ?

Alors, rassurés ?

Après deux heures de visite, ce n’est cependant pas fini et chacun reprend son véhicule pour se rendre à l’Espace technologique situé dans le département voisin à quelques kilomètres. Là aussi, il faut confier sa carte d’identité. Ici, on a droit à des démonstrations grandeur nature des machines qui achemineront les colis de déchets au fond des galeries. Elles sont même censées pouvoir les remonter. Le gouvernement a en effet posé une condition à la création de Cigéo : que le stockage soit réversible durant 100 ans. « Pour que les générations futures puissent changer d’avis, ou améliorer les technologies », explique la conférencière. Après 100 ans d’exploitation, les galeries et les puits d’aération seront par contre définitivement rebouchés, et plus rien ne devra fuiter.

L’après-midi touche à sa fin lorsque nous ressortons de l’Andra. Nous sommes cordialement invités à répondre à un questionnaire qui nous interroge notamment sur notre état d’inquiétude avant et après la visite. Nous repartons aussi avec quelques bouts de cailloux dans un sachet plastique. C'est de « l'argilite du Callovo-Oxfordien » récupérée à une profondeur de 490 mètres. Cette roche de 160 millions d'années pourrait bien devenir le seul rempart entre les déchets radioactifs et les habitants de la Terre pour l'éternité.

Sonia

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