Le pays des Imazighen

Depuis le 12 septembre, l'entrée du Pachalik d'Al-Hoceima est garnie de pancartes, de banderoles et de caricatures. Cinq familles ont planté leurs tentes ici, devant le siège de l'administration locale. Leurs maisons ont été détruites et le terrain vendu une misère à une compagnie immobilière. Les familles n'ont reçu aucune compensation et réclament un dédommagement.

 

Juste en face, dans un petit parc, le comité de soutien se mobilise pour les soutenir. Ils s'organisent aussi en vue d'autres combats. Il y a en permanence une petite dizaine de personnes sur place, membres du mouvement du 20 février. Ils exigent « la liberté, l'égalité et la dignité ». À Al-Hoceima, les « Févriens » demandent aussi une reconnaissance de la culture berbère. Le drapeau amazigh est fièrement accroché devant le Pachalik, un geste de défi.

La moitié de la population marocaine

Les Imazighen représentent au moins la moitié de la population marocaine. Ils sont installés dans tout le nord de l'Afrique, des îles Canaries jusqu'à l’Égypte. Leurs terres ont été foulées par les Romains, les Arabes et les Européens. Depuis l'indépendance du Maroc en 1956, le Rif a connu d'importantes émeutes en 1958-59 et en 1984. À chaque fois, le régime a répondu par la répression.

Dans le Maroc d'aujourd'hui, les Imazighen veulent retrouver leur honneur. « Nous n'avons pas de problème avec les Arabes, mais nous en avons un si on veut détruire notre culture », explique Anouar, qui se définit comme un révolutionnaire. À une vingtaine de mètres des tentes, sous un abri improvisé dans le parc, il boit du thé et fume du kiff avec ses amis.

Il dit ne plus craindre la police, qui le connaît bien. Il a déjà été arrêté et assure que les forces de l'ordre lui ont proposé de l'argent et un emploi pour qu'il cesse ses activités politiques. Il a déjà un travail. Anouar est technicien. Entre autres. « On a sept travails mais on ne gagne pas d'argent », dit-il en forçant le sourire. Ici, c'est un proverbe.

À Al-Hoceima, la tension est exacerbée par les événements du 20 février. Cinq corps portant des traces de violences ont été retrouvés dans une banque en feu. Les militants accusent la police d'avoir tué ces manifestants et d'avoir ensuite placé les corps dans le bâtiment. « Cinq banques ont brûlé en même temps. C'est un travail de professionnel », juge Anouar qui pense que « le système » a fait appel à des personnes violentes pour discréditer le mouvement.

« Si je veux étudier ma langue, je dois le faire avec mes amis »

Les Berbères se sentent discriminés, l'un d'eux compare même leurs situations aux Indiens d'Amérique. Ils dénoncent le fait de ne pas pouvoir utiliser leur langue, le Tamazight, à l'école ou dans les administrations. « Nos parents ou nos grands-parents ne parlent pas ou seulement très peu l'arabe ». Ils sont musulmans, mais craignent que la politique d'arabisation efface leurs particularismes.

Ils ne se sentent pas à l'aise dans le système éducatif où ils apprennent une langue et une histoire qui n'est pas la leur. « Il cache tout ce qui en relation avec la culture amazighe. Mon grand-père me raconte les combats que nous avons menés et des histoires que je n'apprends pas à l'école. Si je veux étudier ma langue, je dois le faire avec mes amis ».

Les choses ont l'air d'évoluer depuis l'accession au trône de Mohamed VI en 1999. La région du Rif a cessé d'être marginalisée par le régime et un Institut Royal de la Culture Amazighe a vu le jour en 2001. Dans les faits, les avancées restent minces. Mais un grand pas est franchi en juillet dernier. La nouvelle constitution du Maroc consacre le Tamazight comme langue officielle, au côté de l'arabe. Petit à petit, son usage devrait être facilité par les autorités. Le Maroc est le seul pays du Maghreb à être allé aussi loin. Bientôt, la question se posera ailleurs.

Vers un Tamazgha ?

La situation actuelle de la région est une opportunité historique que le mouvement amazigh entend bien saisir. À l'avenir, il faudra compter avec lui. Djerba, en Tunisie, a accueilli au début du mois d'octobre la sixième assemblée générale du Congrès Mondial Amazigh (CMA). « Notre organisation est appelée à relever le défi des peuples d’Afrique du Nord et de les rétablir dans leurs droits bafoués depuis des siècles », a déclaré son président.

Sur le site du journal Setif.info, Bouzirèn Ali, militant marocain, affirme que « l’état actuel de l’Afrique du Nord est une aberration dans sa division. La population de Tamazgha (ndlr : le grand pays des Berbères) est pourtant homogène sur le plan linguistique, historique et religieux. » Il ajoute que « ce congrès confirme cette tendance par une expression à l’unisson des Imazighen et un fort sentiment vers une unification de Tamazgha ».

 

La page photo