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Numérique : le nouveau monde des communs

Avec l'informatique, et surtout depuis Internet pensé dès le départ comme un outil social, les échanges sont facilités. De nouvelles pratiques de gouvernance émergent autour des logiciels libres, l'accès et la construction du savoir sont bouleversés par Wikipédia tandis que le numérique bouscule le modèle économique du droit d'auteur.

Wikipédia fête ses quinze ans cette année. Souvent présentée comme l’une des plus belles créations du monde numérique, l’encyclopédie collective et universelle se fixe un but : « offrir un contenu librement réutilisable, objectif et vérifiable, que chacun peut modifier et améliorer ». Rien que dans sa version francophone, elle compte plus de 1,7 million d’articles en ligne et 2,5 millions de comptes utilisateurs, dont plus de 18.000 ont réalisé au moins une modification au cours des 30 derniers jours. Wikipédia est devenue incontournable sur la toile, où elle se décline en 249 langues. Elle puise sa force des contributions volontaires que chacun veut bien rédiger, car même sans être enregistré, tout le monde peut ajouter un article, des images, des précisions, ou bien corriger une faute d’orthographe. Si son contenu en français était imprimé, il représenterait l’équivalent de 565 volumes de l’Encyclopedia Britannica, une somme de culture commune qui bouleverse l’accès aux connaissances et l’élaboration des savoirs.

Opération libre au village

Histoire  locale, géographie, botanique ou encore cartographie… Les opérations libres ont pour objectif de partager les savoirs à l'échelle d'une commune pour les rendre accessibles à tous, notamment grâce à l'outil informatique.

Des micro-fermes pour un micro changement social ?

La permaculture et les micro-fermes essaiment et attirent l’attention. Fer de lance de ce mouvement, l'association Fermes d'avenir tente de se faire une place dans le paysage agricole français. Si elle cherche encore des cultivateurs, elle a déjà trouvé ses partenaires : des entreprises agro-alimentaires, la grande distribution et des banques.

" Les communs proposent un nouveau modèle social et économique "

Importance de bien définir les concepts, prévalence de l'intérêt général sur la propriété privée, perspective de changement radical... Christian Laval et David Bollier, deux penseurs des communs, nous expliquent la vision qu'ils en ont.

Comment peut-on définir les biens communs ou le principe du commun ?
David Bollier
: Les communs sont un système social qui maintient et gère les ressources d’une communauté. Un commun, c’est donc l’addition d’une ressource, d’une collectivité et des règles et valeurs qu’elle s’est fixé pour maintenir et gérer cette ressource. Les exemples les plus classiques sont l’eau ou les terres chez certaines communautés indigènes, les logiciels libres, l’encyclopédie collaborative Wikipédia… Les communs proposent un nouveau modèle social et économique, ce qui est parfois un peu dur à comprendre car nous n’avons pas encore les mots pour en parler. C’est un peu comme lorsque dans les années 50-60, les gens se demandaient ce qu’était l’écologie. Je crois que les communs essaient d’introduire un nouveau vocabulaire, des concepts et des logiques différents du système de marché qui prévaut.

La révolution des communs

Quel est le lien entre l'eau, les forêts, la terre, les logiciels libres, les connaissances, etc ? Tous peuvent être considérés comme des communs, un concept qui soutient une vision optimiste de l’humanité basée sur la coopération plutôt que sur l’accaparement.

La notion des communs reste floue, le concept largement méconnu, mais l’idée commence à faire son chemin. Elle pourrait bien faire mentir l'idée communément admise qu’une chose qui appartient à tout le monde n’appartient en fait à personne, et qu’elle finit par être délaissée. Ces représentations ne sont pas anodines. Elles sont très répandues et servent aussi bien à légitimer la place et les prérogatives des gouvernants qu’à imposer une vision politique et économique qui écarte le peuple des instances réelles de décisions, au motif que les personnes n’agiraient que pour favoriser leurs propres intérêts. Au contraire, la vision des communs affirme une dimension positive de l’action collective, dans laquelle les individus seraient en mesure de s’autogouverner pour résoudre les conflits liés à l’usage et à l’accessibilité de biens ou de ressources.

Le réveil de la lutte des classes ?

Dans un contexte de casse du droit du travail et de chômage de masse, deux films viennent rappeler que la lutte n'est pas vaine. Et s'ils redonnaient un peu du souffle manquant pour transformer la bagarre contre la réforme du travail en l'une des plus fortes mobilisations sociales de ces dernières années ?

Ce sont deux films qui sortent à quelques semaines d’intervalle dans les salles de cinéma et qui pourraient avoir plus d’impact qu’il n’y paraît. Le film Comme des lions, réalisé par Françoise Davisse, suit de l’intérieur la contestation d’ouvriers de l’usine PSA d’Aulnay contre le plan de fermeture du site. Au total, 3.000 personnes sont menacées de licenciement. Quelques centaines de salariés, essentiellement des ouvriers, s’engagent alors dans un bras de fer de deux ans avec la direction de l’entreprise. Piquets de grève, manifestations, actions coups de poing... Une lutte intense, jusqu’à l’occupation finale de l’usine pendant quatre mois, qui n’a néanmoins pas suffi à empêcher la fermeture du site. Plus que le conflit social en lui-même, c’est l’aventure collective vécue par les grévistes et la solidarité qui en découle que relate Comme des lions.

Edito #10 et sommaire

Le patrimoine cumulé des 1% les plus riches du monde a dépassé l’année dernière celui des 99% restants, en tenant compte des dettes, estime Oxfam. L’Organisation non gouvernementale a aussi calculé que les 62 premières fortunes mondiales possèdent autant que le reste du monde. Ces chiffres, difficiles à appréhender tellement ils sont vertigineux, illustrent magistralement l’accaparement des ressources par quelques-uns au détriment du plus grand nombre. Chaque année, lorsque la presse s’en fait l’écho, l’impuissance nous gagne. Le rouleau compresseur néo-libéral et ses valeurs individualistes semblent bien difficiles à freiner. Pourtant, des alternatives pointent timidement leur nez.

C’est le cas du concept des communs, qui depuis quelques années, fédère celles et ceux qui interrogent notre modèle économique et nos pratiques de gouvernance. Les communs nous proposent de sortir de la dualité entre un État tout-puissant et la privatisation généralisée, pour explorer les chemins de la gestion collective. Les communs peuvent aussi bien concerner les biens numériques que les ressources naturelles ou intellectuelles, s’appliquer à l’échelle d’une petite communauté ou à la terre entière. La force des communs repose sur leur capacité à lier des luttes jusque-là séparées : la « dégooglisation d’Internet » rejoint ainsi le mouvement de libération des semences dans une même optique de réappropriation des biens collectifs.