Alternatiba : un village itinérant pour le climat

Des festivals Alternatiba se sont déroulés dans plusieurs villes de France et le mouvement essaime. Il prône une nouvelle forme de militantisme et vise un public large, ce qui pose parfois quelques problèmes au niveau local.

Un tandem à quatre places, un slogan offensif « Changeons le système, pas le climat ! », des centaines d’initiatives concrètes : bienvenue à Alternatiba, le village des alternatives. Ce vaste mouvement veut fédérer les citoyens autour de la lutte contre le changement climatique et être la vitrine des alternatives face au productivisme. Le principe est de monter un village éphémère dans le plus de villes possibles. Sur place, des centaines d’initiatives sont présentées au public dans de nombreux secteurs d’activité : Disco-soupe, monnaies locales, jardins partagés, fabrication de compost, ateliers de recyclage de déchets, épiceries sociales et solidaires...

La première édition s’est tenue en octobre 2013 à Bayonne, et a rassemblé environ 15.000 personnes sur deux jours. Un an plus tard, la version girondine a regroupé plus de 150 initiatives, des conférences, des débats et des concerts. Le temps d’un week-end, Alternatiba Gironde a réussi son pari de mobiliser les citoyens, dans une ville pourtant surnommée « la belle endormie ». La réappropriation de l’espace public est clairement inscrite dans l’ADN d’Alternatiba, à la manière des mouvements des Indignés et Occupy. Depuis la rentrée de septembre, plus de 50.000 personnes ont investi ces villages alternatifs dans plusieurs villes.

Un effet boule de neige

A ce jour, Alternatiba compte une cinquantaine d'événements à travers l’hexagone, mais aussi à Tahiti, en Belgique, en Allemagne, en Autriche, en Bosnie… A l’heure du réchauffement climatique et de l’urgence de changer nos modes de vie, le concept s’exporte bien. L’objectif : montrer que les habitants prennent les questions climatiques au sérieux, avant la Conférence des parties sur le climat (COP 21), prévue à la fin de l’année 2015.

Après l’édition basque de 2013, le mouvement a essaimé un peu partout au cours de l’année 2014, avec une rapidité qui a surpris les initiateurs du projet. « C’est parti tout seul, des gens qui sont venus au premier Alternatiba ont lancé l’idée chez eux au retour de Bayonne ! », se réjouit Jon Palais. « C’est au-delà de nos espérances, ça va beaucoup plus loin que ce qu’on imaginait… ». Dans chaque ville, des associations locales prennent en charge l’organisation. « Il y a des choses que l’on retrouve partout, chaque Alternatiba a des représentants qui participent à la coordination européenne, et prennent les décisions stratégiques et politiques en vue de la conférence de Paris ». Suite à la première édition, un kit méthodologique a été préparé par les organisateurs bayonnais, afin que les autres équipes aient en leur possession les principaux documents pour mettre en route la machine (lettres officielles, fiches de bénévoles…).

Un nouveau souffle militant

« Tous les mouvements sociaux sont dans le creux de la vague en ce moment, surtout en France », se désole Jean-Marie Harribey, membre de l’organisation Attac. Un constat partagé par nombre de militants écologistes et altermondialistes. Pour eux, le dernier rapport accablant du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) et la tenue de la COP 21 à Paris, en 2015, étaient donc l’occasion de porter le message des alternatives auprès du grand public.

« Beaucoup d’organisations, après avoir essayé de mobiliser sur le climat et avoir essuyé beaucoup d’échecs après la conférence de Copenhague (en 2009, NDLR), avaient posé le diagnostic que ce n’était pas un thème mobilisateur et qu’il fallait qu’on arrête de se casser les dents », analyse Jon Palais. « Nous, on pensait que l’on n’avait pas tout essayé. On a observé aussi que ça attire un nouveau profil de militants, qui participent concrètement dans l’organisation logistique d’Alternatiba. Des bricoleurs, quincaillers, nous aident volontiers, alors qu’ils ne sont jamais venus à des discussions très théoriques sur le climat ».

Le succès des Alternatiba tient aussi à la place qu’ils prennent dans les villes. à Bordeaux, le quartier Sainte-Croix a été entièrement investi pendant deux jours. Il a fallu installer plusieurs chapiteaux, des scènes pour les concerts… Un dispositif qui demande des moyens financiers importants. Si les organisateurs locaux lancent généralement un appel aux dons sur Internet, les sommes récoltées ne sont pas suffisantes pour couvrir l’ensemble des frais. « Le budget du week-end est de 100.000 €, mais il monte à 300.000 € quand on compte tout le travail réalisé en amont », explique Aurélie Schild, de l’association Les Amis de la Terre 33, à l’origine du projet Alternatiba Gironde. L’autofinancement et le soutien de certaines fondations ne suffisent pas. Les organisateurs ont donc sollicité la Ville de Bordeaux, la Communauté urbaine, le Département et la Région, pour obtenir des subventions publiques à hauteur de 50.000 €.

Une aide qui ne fait pas l’unanimité au sein des organisateurs. La première conférence publique, consacrée à la métropolisation, a été quelque peu chahutée. La présence, lors de ce premier débat, d'élus de la Ville, du Département et de la Région n'a pas été du goût de tous. Pour montrer leur crainte d’une récupération politique, quelques personnes ont tenté d'empêcher la tenue de la conférence, avant de brandir des pancartes « bla bla » dans la salle.

Les membres de l’organisation, eux, défendent leur choix. « Les collectivités sont nos partenaires, on a sollicité des subventions auprès d'eux, donc on a décidé de les inviter », estime Alain Pellon, des Amis de la Terre. Mais attention, pas question de tomber dans la compromission, clament-ils : « Une ligne rouge a été mise dès le départ : on ne les a pas fait venir pour nous réciter un énième plan climat ! Alternatiba a deux buts : créer un grand mouvement citoyen, et mettre la pression sur les décideurs ».

Avec ce premier débat sur les conséquences environnementales de la métropolisation, le but des organisateurs était donc d’interpeller les élus sur un sujet chaud, « avec des contradicteurs qui pouvaient porter un message très radical », affirme Aurélie Schild. « En préambule, et devant eux, on a lu un discours dans lequel on a clairement affiché nos positions sur différents sujets, comme notre volonté de sortir du nucléaire. C’est vrai que ces questions d’argent et la présence de politiques ont suscité pas mal de débats entre nous. Mais voilà, on assume…». Dans d’autres villes organisatrices, les collectivités locales ont soutenu financièrement la manifestation, suscitant des polémiques similaires, comme à Nantes. La mairie de la ville avait, dans un premier temps, conditionné l’octroi de subventions à l’absence du stand de l’Acipa (Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes). Face à la protestation des associations organisatrices, la Ville a finalement accepté la présence de l’Acipa, présentée comme un exemple d’« expertise citoyenne ».

Le risque de l’extrême droite

Le principe d’Alternatiba est de mettre en lumière les initiatives locales de protection de l’environnement. Un thème porteur pour mobiliser les militants écologistes, mais pas seulement. La présence d’un conseiller municipal du Front national à la manifestation de Gonesse, en septembre, et la participation de militants d’extrême droite à l’organisation de l’événement lillois ont interrogé les limites de l’ouverture à tous d’un tel mouvement. Ces derniers mois, la récupération de certaines luttes environnementales par la droite extrême inquiète. « Sur ces questions-là, c’est surtout à nous, le camp progressiste, écologiste, d’inverser le rapport de forces. On espère former une nouvelle génération de militants, parce que pour l’instant, c’est l’extrême droite qui monte en puissance et qui s’organise bien », selon Jon Palais.

Pourtant, si le risque existe localement, le mouvement global affiche clairement une ligne progressiste. « On ne pourrait pas faire un événement qui serait en contradiction avec la charte, qui est considérée comme un cadre commun », souligne Jon Palais. Une manière de dire que les thèses frontistes pourraient difficilement déteindre sur l’esprit d’Alternatiba.

Malgré tout, la vague Alternatiba va continuer de déferler dans les prochains mois, dans l’optique de la Conférence de Paris, en 2015. Outre la tenue des prochains rendez-vous locaux, la stratégie à adopter sera au cœur des débats de la coordination européenne. Au départ de Bayonne, le « Tour Alternatiba » ralliera Paris après un trajet de 5.000 km à vélo dans plusieurs pays.

Pendant la COP 21, un grand village des alternatives devrait également voir le jour dans la capitale. Plus qu’un contre-sommet classique, ce sera l’occasion de fédérer massivement la population autour de la question climatique. Pour beaucoup en effet, l’heure est désormais au développement de la « masse critique » pour faire pression sur le pouvoir décisionnaire.

Clément Barraud


10, 100, 1000 Alternatiba

Le mouvement a été initié à l’été 2012 par l’association Bizi (« Vivre », en basque) de Bayonne. A peine une dizaine de personnes constituaient le noyau dur de départ. Parmi eux, certains participaient auparavant au mouvement des Indignés. Par la suite, des centaines de bénévoles les rejoignent. « On voulait que ce premier événement soit le déclencheur d’une vraie dynamique, d’où la cérémonie de fin avec un appel à 10, 100, 1000 Alternatiba », explique Jon Palais, membre de Bizi. L’appel de Bayonne sert de charte de référence pour définir les principales alternatives à prendre en compte. Certains réécrivent ensuite leur propre charte, comme à Bordeaux ou à Lille, tout en restant très proche de l’esprit général.