Peuples voyageurs, peuples méconnus

peuplesvoyageurs1.jpgLes « Gens du Voyage » représenteraient entre 250.000 et 400.000 personnes en France, mais cette formule administrative est insuffisante pour décrire la diversité de ces peuples. Le degré de sédentarisation varie tandis que le voyage est de plus en plus difficile.

Parler de « Gens du Voyage » revient à utiliser une formule générale qui englobe des réalités bien différentes. Elle est employée indistinctement pour parler des Manouches, des Gitans, des Yéniches, des Sinti, des Roms ainsi que d’autres communautés, plus ou moins nomades, tsiganes ou non.

Cette expression, impersonnelle et qui n’a d’ailleurs pas de singulier, est avant tout un terme administratif bien pratique pour qualifier les personnes dont « l’habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles ». Ils seraient entre 250.000 et 400.000 en France, mais l’histoire et la culture des Voyageurs, comme ils préfèrent souvent se nommer eux-mêmes, restent largement méconnues des « gadjos », paysans en langue romani et qui désignent, par extension, tous les sédentaires.

Les différents groupes nomades partagent un certain nombre de valeurs, comme l’attachement au groupe, à la famille et à la liberté de mouvement. Que le voyage soit permanent, symbolique ou intermittent, il reste l’un des piliers de leur identité. Même sédentarisés, et c’est le cas de la plupart des Tsiganes aujourd’hui, beaucoup conservent une caravane dans leur jardin. Ils peuvent l’utiliser « à la gadjo, pour les week-ends ou les vacances », comme M. Renard, ancien vannier installé en Indre-et-Loire. 

De multiples raisons de prendre la route
« Nous sommes nomades, c’est notre façon de vivre », nous rapporte quelqu’un toujours sur les routes et qui s’interroge sur cette fidélité au voyage. « Je ne sais pas si c’est par nécessité ou par rejet que nous ne voulons pas nous sédentariser. Nous sommes comme ça depuis des siècles ». Les groupes familiaux avaient l’habitude de suivre un itinéraire qui se répétait ou qui variait d’année en année selon les opportunités. Ils pouvaient acheter sur les lieux de production ou dans les usines des stocks de draps, de vaisselle ainsi que diverses marchandises de quincaillerie qu’ils vendaient ensuite aux habitants.

Participer à diverses foires et marchés, ramasser les métaux, remonter le Rhône en vendangeant, effectuer divers travaux saisonniers, d’élagage, de bâtiment ou se rendre à des rassemblements familiaux ou religieux sont autant de raisons de prendre la route. Sans oublier les activités traditionnelles de rempaillage, d’étamage, de vannerie, de musicien, de rémouleur, ou même de diseur de bonne aventure, ils tenaient jusqu’à peu une place incontournable et essentielle dans la vie rurale.

Le voyage n’est pas contradictoire avec un ancrage territorial, la plupart des déplacements sont d’ailleurs locaux et la majorité conserve des attaches fortes à certains lieux. Cette manière de vivre, celle où le voyage constitue cette « géographie particulière », comme le dit Marc Bordigoni, anthropologue et membre de la revue des Études tsiganes, est de plus en plus dure. « Maintenant, tout est réglementé, c’est devenu plus fatigant », affirme par expérience un Voyageur. Les contraintes qui pèsent sur la liberté d’aller et de venir et les divers changements dans la société ont impacté leur mode de vie.

« Ils se déplacent de moins en moins », observe Patrick Mila, membre d’une association d’aide aux Voyageurs. « Les activités sont liées aux déplacements. S’il y a moins d’argent, les voyages sont écourtés et ils peuvent se retrouver coincés dans une spirale négative ». Les restrictions de stationnement, les changements de consommation, le développement de l’urbanisme et des moyens de transport ont contraint de nombreux groupes à se fixer.

vanGogh-1888-(2).jpgL'itinérance suscite peur et méfiance 

Si certains possèdent un terrain pour l’hiver et partent aux beaux jours, d’autres survivent dans une extrême précarité. Il existe une énorme diversité de situations parmi les Voyageurs. On peut croiser des personnes aisées et certaines qui vivent sur des aires « d’accueil » depuis plus de 20 ans, dans des conditions sanitaires parfois difficiles. Les pouvoirs publics ont développé ces zones spécifiques, des « places désignées » comme les appellent leurs usagers. Ils s’y retrouvent marginalisés et de plus en plus dépendants des aides publiques.

Toutes ou presque sont reléguées à la périphérie des villes, à proximité des décharges, des stations d’épuration ou des sorties d’autoroutes. La loi Besson de 2000 contraint les communes de plus de 5.000 habitants à s’équiper pour recevoir les passages et les séjours des Gens du Voyage. Le plan était de construire plus de 40.000 places de stationnement, mais seules 64 % des aires d’accueil et guère plus de 30 % des aires de grands passages auraient été construites fin 2012. En dépit de leur rareté, ces endroits deviennent progressivement les seules possibilités légales d’installation.

Et « quand un Tsigane veut acheter un terrain, le rejet est systématique », entend-on souvent. Beaucoup souhaitent trouver un pied à terre, mais il n'est pas rare que des riverains ou des maires achètent ou usent de leur droit de préemption pour un terrain dont personne ne voulait jusqu’alors. Ce n’est généralement que de manière négative que l’on entend parler des « Gens du Voyage ». Vols, installations « sauvages », dégradations… Les activités itinérantes ont toujours suscité peur et méfiance et les discours politiques et médiatiques continuent de stigmatiser ces populations visées par des siècles de discriminations.

« Ma famille voyage en France depuis au moins 1792, je n’ai pas pu remonter plus haut. Je suis Sinté, mais ce n’est pas le privilège des Tsiganes d’être nomades. Il existe plein de métiers itinérants. Nous devons supporter la discrimination et le racisme, juste parce que nous avons un mode de vie différent. Nous sommes le reflet de la société française, il y a des gens pas bien chez nous, mais ce n’est qu’une minorité » enrage Milo, qui organise des déplacements en grands groupes pour résister et conserver sa culture.

Zor

 

Les Voyageurs s’organisent

La Commission consultative des Gens du Voyage (CNCGDV) est supposée être une instance nationale de réflexion et de concertation depuis 1992, mais elle s’est surtout illustrée par son immobilisme. Certains parlent même de trahison après le projet de loi déposé par son président et sénateur Pierre Hérisson qui visait à renforcer les sanctions en cas d’occupation illégale, alors qu’à peine plus de la moitié des communes respecte la loi en matière de capacité d’accueil.
Pour faire face aux restrictions de stationnement, résister et conserver leur culture, les différents groupes de Voyageurs tendent à se solidariser. Le mouvement pentecôtiste, né après guerre, parvient à réunir énormément de monde. Le Comité international tsigane est fondé à la fin des années 60 et l’on assiste aujourd’hui à l’émergence de leaders. Certains misent sur le rapport de force et la négociation directe avec le pouvoir, d’autres jouent la carte de la médiatisation.

 

Roms et gens du Voyage
Rom est un terme qui signifie homme en langue romani. Il a été adopté par l’Union romani internationale pour désigner un ensemble de populations qui ont la même origine tsigane. Il est repris par l’Union européenne qui utilise le mot Rom pour parler aussi des Gens du Voyage. De là est née une confusion. Dans un sens plus restrictif, les Roms, parfois orthographié Rroms pour opérer une distinction avec les Roumains, sont les Tsiganes présents en Europe centrale et orientale. Ils sont sédentarisés depuis plusieurs siècles et certains sont venus chercher une vie meilleure en France à partir des années 1990. Ils seraient 20.000 aujourd’hui. La plupart des gens confondent les Roms et les Gens du Voyage. Bien qu’ils partagent une lointaine origine commune, ils n’ont plus guère à voir les uns avec les autres.

 

Tableau : Vincent Van Gogh, Les roulottes, campement de bohémiens, 1888


Cet article est tiré du dossier "Nomades d'aujourd'hui", publié dans Lutopik numéro 4. Ce magazine papier fonctionne sans publicité ni subvention et ne peut continuer d'exister que grace à ses lecteurs. Si vous appréciez Lutopik, vous pouvez vous abonner, commander un exemplaire (rendez-vous ici) ou nous faire un don.