Erscia veut faire scier le Morvan pour produire de l'éléctricité

Sous couvert d’offrir au Morvan des dizaines d’emplois en implantant une scierie dans la Nièvre, la société Erscia tente de profiter de la manne économique de l’électricité dite « verte » en construisant un méga incinérateur à bois.

 
Le projet n’a pas immédiatement intéressé les riverains. Tout au plus, quelques maires se réjouirent-ils des retombées économiques pour la région : emplois, valorisation des biens immobiliers, arrivée de nouveaux habitants, etc. Il faut dire qu’à l’époque, tous croyaient que seule une scierie zéro déchet allait s’implanter. Mais à l’été 2012, alors que la consultation publique avait pris fin, et que seule une trentaine de commentaires avait été rédigée dans les six villages appelés à s’exprimer, deux associations, Loire Vivante et Decavipec, alertèrent les habitants sur la réalité du projet. Elles ont découvert qu’il ne s'agira pas d'une scierie à proprement parler. Sur le registre des sociétés, Erscia est enregistrée sous l’activité « production d’électricité ».

 

Dans ses communications destinées au grand public, l’entreprise ne faisait pourtant guère de publicité autour de l'installation d'un gros incinérateur. Car en vérité, elle mise plus sur son four qui fabrique de l’électricité que sur ses planches pour gagner de l'argent. Pour empêcher ce qui s’annonce comme « une aberration économique, environnementale et sociale », plusieurs riverains ont créé l’an passé l’association Adret-Morvan. Elle compte aujourd’hui plus de 600 adhérents.
 
De l'électricité cher payée
 
L'unité de cogénération, l'incinérateur donc, brûlera entre 20 et 40 tonnes de bois par heure ! Pour l'alimenter, Erscia a obtenu une dérogation préfectorale qui lui permettra de griller des bois considérés comme des déchets venus de treize départements. Cette catégorie comprend les bois peints, vernis ou encore les panneaux de particules. Ils sont normalement destinés au centre d'enfouissement, car trop polluants pour être incinérés. Erscia compte pourtant utiliser majoritairement ce type de bois hautement calorifique et non assimilable à de la biomasse pour produire une électricité dite « verte ». Son installation aura une puissance de 12MW électriques et 53MW thermiques. L’électricité sera revendue à ERDF à 160€/MWh, ce qui représente un gain d’environ 16 millions d’euros annuel.
 
Mais les Morvandiaux ne profiteront pas de cette électricité. Selon un document d’ERDF, Erscia en rachètera 10MW au prix industriel, soit environ 47€ le MWh, pour sa propre consommation (un chiffre que conteste Pascal Jacob, directeur général d'Erscia, qui parle de 2MW, ce qui est très improbable pour une telle installation). Les pouvoirs publics locaux prévoient également la création d’une zone artisanale aux côtés d’Erscia, la Wood Valley. Ils estiment ses besoins électriques à 5MW. Quand Erscia affirme que l’électricité produite alimentera 25.000 ménages, c'est donc faux. Pire, les nouvelles implantations censées produire de l'électricité en consommeront plus qu'elles n'en fabriqueront.
 
La chaleur dégagée servira au séchage des pellets, la deuxième source de revenus pour l'entreprise. Ces granulés de bois sont utilisés comme combustible dans les chaudières. Erscia prévoit d’en fabriquer 250.000 tonnes par an, soit l'une des plus importantes productions françaises. Et là encore, surprise. Les pellets seront envoyés en Belgique, pour être brûlés exclusivement dans les centrales d’Electrabel qui souhaite ainsi « verdir » son électricité pour obtenir des crédits carbone européens au détriment des forêts françaises. Le transport de ces pellets pose d’ailleurs également problème. Si Erscia évoque un transport par train, la route risque de l’emporter. En effet, l’actionnaire principal d’IBV (maison mère d'Erscia), Roland Jost, est le patron d’un important groupe de transport routier européen. « Il semble hypothétique, dans ces conditions, qu’Erscia opte pour le rail », raille-t-on du côté des opposants.
Malgré tous ses soucis, le projet est fortement soutenu par les pouvoirs publics. Il faut dire qu’Erscia annonce « la création de 120 emplois directs – à fort caractère local- et d’environ 200 emplois indirects ». Ces perspectives ne sont pas celles d'Adret-Morvan. « Obligatoirement, les tarifs du bois vont augmenter, et les plus petites scieries ne pourront pas suivre ». Sur les quatre scieries industrielles du Morvan, « deux ou trois fermeront. Erscia détruira plus d’emplois qu’il n’en créera ». Mais les promesses d'embauches ont déclenché le versement de nombreuses subventions. Face à l’opposition grandissante, Pascal Jacob maintient son projet. « Nous avons déjà dépensé trois millions d’euros pour nous implanter sur ce site. Donc on ne reculera pas », affirmait-il en avril dernier. La justice pourrait cependant freiner ses ambitions. Sur les six arrêtés préfectoraux relatifs au projet (autorisation de défrichement, de destruction d’habitats d’espèces protégées, de création d’un lotissement industriel, de loi sur eau, de permis de construire et d’ICPE), cinq ont déjà été attaqués en justice. Les deux premiers ont été suspendus. L’arrêté relatif à la destruction d’espèces a même été suspendu trois fois. C’est d’ailleurs la troisième publication de cet arrêté, le 4 février 2013, qui a provoqué une forte mobilisation et permis la création de la ZAD. On attend désormais le jugement sur le fond.
 
Destruction de l’environnement
 
La construction de cette future « Wood Valley » implique la destruction et le bétonnage des quasi 110 hectares du bois de Tronçais, situé à moins d’un kilomètre du Parc national du Morvan. La parcelle comprend une zone humide. Or ces zones sont vitales pour l'environnement et elles bénéficient d'une forte protection juridique. Si l’exploitant a bien prévu, comme l’y oblige la réglementation, de compenser cette perte de biodiversité en créant une mare à quelques mètres, « il est complètement irréaliste de penser qu’on peut reconstruire un tel écosystème », s’insurgent les résistants au projet. Quant à la pollution, l’arrêté préfectoral encadrant l’exploitation présente une grossière erreur : il autorise des émissions annuelles de dioxines à hauteur de 60g, ce qui serait mortel dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres. Outre la dioxine, la cheminée de cinquante mètres rejettera quantité d'autres polluants, au moins autant qu'un incinérateur d'ordures ménagères.
 
Autre problème, et pas des moindres, l'approvisionnement en bois. Les besoins d'Erscia pèseront lourd sur la région. Les résineux, qui remplacent progressivement la forêt morvandelle, atteindront leurs pics de production à l'horizon 2020. Même sans Erscia, qui prévoit de scier 500.000 m3 de bois par an, la ressource en bois bourguignons sera insuffisante par rapport aux capacités des scieries déjà existantes. La région ne lui suffira donc pas. Le groupe envisage de s’approvisionner avec les massifs voisins dans un rayon de 300 kilomètres. « Pour assouvir un géant comme Erscia, il va falloir imposer des cultures du bois, à l’image de l’industrie céréalière. Une fois toutes les forêts de la région rasées, il faudra planter des centaines d’hectares de pin Douglas, qu’on nourrira de produits phytosanitaires pour augmenter le rendement de ces monocultures », craint Marc, agronome et opposant au projet.
 
Lire aussi le reportage sur la ZAD du bois de Tronçais