La maison de Bure contre la poubelle nucléaire

À Bure, dans la Meuse, deux associations antinucléaires ont acheté une maison pour lutter contre l'installation du centre d’enfouissement des déchets nucléaires (Cigéo). Sa vocation est d'accueillir les militants de passage et de fournir une contre-information à celle de l'Andra (Agence Nationale de gestion des Déchets Radioactifs). Alors que les débats publics démarrent le 23 mai à Bure, et que les travaux d'enfouissement, hautement stratégiques pour l’État français, sont prévus pour 2019, la maison se prépare à monter en puissance.

Voilà un outil bien pratique pour lutter contre le projet d'enfouissement des déchets nucléaires dans le sous-sol de la Meuse. La maison de résistance à la poubelle nucléaire est implantée au cœur du petit village de Bure depuis 2005. Coup de maître des antinucléaires. C'est peu de dire que la mission n'était pas jouée d'avance. Le maire a signé toutes les autorisations nécessaires à la construction du laboratoire de l'Andra, bien content de faire profiter sa commune d'une manne financière considérable pendant des décennies (cf. encadré). Il voit donc rouge quand des gens s'apprêtent à habiter sur son territoire dans le but d'empêcher l'ouverture de la poubelle nucléaire.

Le maire avorte une première tentative en usant de son droit de préemption. Le coup suivant sera le bon. Un couple propre sur lui se présente pour acheter une maison secondaire. Ils concluent vite la vente d'une ruine pour environ 15.000 €. Peter, antinucléaire allemand, est désormais propriétaire d'une bombe atomique dirigée contre le projet d'enfouissement. Il revend presque immédiatement son bien à une SCI détenue à 60 % par Bure Zone Libre et à 40 % par le réseau Sortir du Nucléaire. Depuis cette date, le premier lieu français de résistance permanente au nucléaire se fortifie sur une zone symbolique et stratégique.

Attirer un public local

« L'esprit, c'est d'avoir une base fixe, que des gens venus de loin puissent avoir un toit. Il fallait aussi montrer à l'Andra que l'on s'installe dans le temps et qu'on n’est pas prêt de bouger. Nous sommes indélogeables », annonce l'un des habitants qui totalise plusieurs années de lutte antinucléaire à son actif. Dans la maison, les premiers mois sont difficiles. Peter partage son temps entre les travaux de la maison et sa roulotte pour se reposer. Tout est à refaire, sol à décaisser, poutres et solives à remplacer, couverture, maçonnerie, réseau d'eau et d'électricité... Le chantier avance doucement, au rythme des rentrées d'argent et des volontaires qui affluent. Bure Zone Libre, l'association qui détient le plus de parts dans la maison, monte un festival. Il attire du monde, un peu trop même. Les 5.000 personnes deviennent trop difficiles à gérer pour la petite structure organisatrice. Après une année de transition, la fête devient plus confidentielle et se nomme désormais « Petit festival contre la grosse poubelle ». Il s'agit cette fois d'attirer un public plus local et d'élargir le cercle des militants déjà convaincus.

Au fur à mesure des rénovations et des passages, la maison devient une base solide pour les antinucléaires. Ses habitants sont changeants, certains restent des années, d'autres quelques jours. L'échelle se situe souvent entre les deux. Avec le temps, elle devient vivable, accueille plusieurs pièces, un étage, un dortoir, et une éolienne dans le jardin. L'heure est aux finitions. Quand nous y sommes passés, les tailleurs de pierre avaient fini leurs fenêtres et ils posaient le mortier sur la dernière des onze ouvertures percées en façade. Presque tout est isolé. Aujourd'hui, la maison est conviviale et peut accueillir une bonne vingtaine de personnes. « La fin des travaux permet de s'ouvrir aux locaux, on s'inscrit dans le paysage ».

La nécessité d'une contre-information

Ceux qui vivent ici ont rassemblé de nombreux livres, journaux ou brochures abordant surtout le nucléaire, mais aussi d'autres sujets. Ils proposent ainsi un espace d'informations indépendantes. Face au budget colossal dont dispose l'Andra pour sa communication, il faut avant tout récolter et fabriquer les outils d'une contre-information. Et il y en a fort besoin. Il y a quelques mois, l'agence de gestion des déchets nucléaires présentait une exposition dans ses locaux. Elle était intitulée « La radioactivité, d'Homer à Oppenheimer ». Le premier est le héros bien connu des Simpson qui travaille dans une centrale nucléaire, le second est le père de la bombe atomique. Cette exposition, destinée avant tout aux scolaires, mettait aussi en avant le fait que Superman, Spiderman ou encore Hulk avait profité des bienfaits de l'atome pour acquérir leurs super pouvoirs...

L'information officielle délivrée manque clairement d'objectivité et passe sous silence de nombreux points. Pour remédier à cette carence, forcément volontaire, la prochaine grosse étape est de terminer une salle aux normes pour accueillir du public lors de projections, d'expositions, de concerts, de débats, de théâtre et sûrement un tas d'autres choses. « Nous, on n'a pas besoin de cette salle », informe un membre du collectif. « C'est pour d'autres, pour pousser les gens du coin à prendre part à la lutte ». Ça commence à payer. Des réunions de diverses associations locales se tiennent déjà à la maison.

Les militants se savent très surveillés et le combat sera rude. Hélicoptère en rase-mottes qui prend des photos lors d'une réunion, projecteur d'une berline de gendarmerie pour éclairer les plaques d'immatriculation à 4 h du matin, téléphones sur écoute... « C'est le jeu. On ne s'attaque pas qu'à des intérêts privés. Quand on s’attaque au nucléaire, on s'attaque à l’État. Ils ne te font pas de cadeau ».

Une lutte très longue

Désormais, on entre dans une phase importante de la lutte contre Cigéo. Les débats publics concernant le projet commencent le 23 mai à Bure et devraient durer quelques mois. Plusieurs structures ont lancé un appel à boycott contre ces réunions considérées comme une mascarade de démocratie participative. Elles n'ont aucun pouvoir décisionnaire et certains ont bien envie de les perturber. Mais cette bataille n'est qu'une étape dans la longue guerre qui oppose les deux camps. La lutte contre le projet d'enfouissement a commencé en 1994. Les premiers déchets ne sont pas prévus avant 2027. « Comment gérer le temps d'une lutte ? Se placer sur une échelle où il faut deux générations ? Pour y arriver, il ne faut pas faire que des coups d'éclat, il faut surtout tenir sur le long terme et maintenir la crédibilité sur de longues années. Ce n'est pas facile de comparer, nous n'avons jamais eu ça en France ».

Celui que nous pourrons appeler Manu continue. « Il est important que le mouvement antinucléaire se charge du dossier Bure. Mais il faut aussi élargir le champ. Ça concerne tout le monde, c'est le message que l'on souhaite faire passer. On va accélérer, la fin est plus proche que le début. À partir de l'autorisation gouvernementale en 2018, il n'y aura plus de voies légales pour contrer ça ». La zone concernée par le centre d'enfouissement sera complètement bouclée un an avant le début des travaux prévus pour 2018. « Il faut expliquer que ce sera important de venir se mobiliser ici un jour ».

Lire aussi l'article sur le projet Cigéo

Commentaires

On peut espérer que l'évolution des techniques permettra de réduire, voire de neutraliser la dangerosité de la radioactivité artificielle. Par ex.: confiner les déchets radioactifs dans un champ électromagnétique. Où la recherche en est-elle dans ce domaine? L'autre aspect des choses est que l'organisme de certains individus est plus résistant à la radioactivité, entre autres. Par ailleurs, on n'a pas expérimenté le pouvoir de la pensée sur la neutralisation de la radioactivité. Idem concernant les ouragans: limiter, voire neutraliser la dangerosité des ouragans au moment de leur naissance par la focalisation de la pensée concertée de, disons, un millier d'individus, pour empêcher leur développement, etc...une telle attitude est plus évoluée que la lutte "à ras de terre"!