Des céréales en montagne

Cerealpage.gifDes bergers paysans relancent la culture des céréales dans le Jura, un territoire quasi exclusivement dédié aux vaches laitières. Recherche d’autonomie fourragère, production de pain, circuits courts et protection de la nature sont au cœur du projet.

Relancer la culture de céréales biologiques dans la montagne jurassienne, entre 840 et 1150 m d’altitude, tel est le pari que s’est lancé un petit groupe de paysans, bergers paysans et paysans boulangers. Si on cultivait des céréales de printemps à la fin du XVIIIème siècle dans le Haut-Doubs, le territoire est aujourd’hui dédié quasi exclusivement à la production laitière des vaches montbéliardes pour la fabrication du Comté. Diversifier l'agriculture en replantant des céréales fourragères ou panifiables est une entreprise qui répond à des besoins précis.

Certains éleveurs cherchent à gagner de l’autonomie dans l’alimentation du bétail ou à se fournir en paille labellisée agriculture biologique, une denrée pour l’heure introuvable sur le marché. D’autres paysans ou bergers boulangers qui fournissent du pain aux AMAP, réseaux de consommateurs locaux ou magasins Biocoop, veulent tenter de mettre à disposition de ces circuits courts de la farine panifiable, actuellement remontée du bas. En 2010, cinq fermes lancent donc le projet « Céréalpage ».

Avant même de pouvoir semer les premières graines, ils doivent affronter une difficulté : obtenir l’autorisation de cultiver des céréales en montagne. Car avec la PAC (Politique agricole commune), l'Europe impose un ratio national de prairies permanentes à préserver. Dans le Haut-Doubs, cette réglementation se traduit par l’interdiction de labourer les terres. Pour obtenir une dérogation, l’équipe de Céréalpage met en avant l’utilisation de techniques respectueuses de l’environnement (labour très superficiel, zéro engrais, zéro traitement, traction animale ou matériel motorisé léger pour proscrire le tassement des sols, rotations longues…) et l’intérêt écologique du projet. « Cultiver des céréales biologiques sur quelques hectares durant une année ou deux, puis laisser la prairie se réinstaller pendant plusieurs années ne risque pas de mettre en péril la biodiversité. De telles rotations ont légué à nos parents, au tournant des années soixante, les riches prairies fleuries de ce qui devint le terroir de l’AOP Comté », rappellent-ils.

Vers des semences du cru

A l’heure de semer, la question de savoir quelles semences utiliser les prend un peu de court. Pour la première année en 2011, ils achètent donc sans anticipation orge, avoine, pois et blé panifiable dans le commerce, et répartissent les cultures sur les différentes fermes. Des agriculteurs du secteur prêtent du matériel : herse, semoir, rototilleur ou cheval comtois utilisé pour labourer une partie des parcelles. La météo de l’été est favorable et la première récolte est faite avec une petite moissonneuse batteuse prêtée par un passionné de mécanique agricole ancienne. La paille boulée comme les foins obtenus donnent entière satisfaction. Sur les trois sites cultivés, les rendements en quintaux par hectare sont de 25, 42 et 50. Le plus faible est à mettre en relation avec les bas rendements observés sur toute la ferme en question depuis deux ans. Les deux autres répondent aux attentes et prédictions d’une "première paille", la première récolte derrière une prairie ancienne, en montagne et sans aucun intrant. La qualité des céréales est hétérogène : si l'orge est très satisfaisante, avec un grain riche en farine et rebondi, le blé panifiable semble avoir souffert et le poids des grains est inférieur d’un tiers à la génération parentale.

Ces résultats confortent l’équipe dans l’envie de prolonger l’expérience, mais cette fois en privilégiant des semences fermières et en essayant des céréales d’automne qui correspondent plus au cycle de la céréale sauvage : elles passent l’hiver sous forme d’une plantule ayant germé à l’automne.
Les espèces pressenties en plus de l’essai 2012 sont le seigle, le grand épeautre et l’avoine noire. Pour trouver des variétés adaptées à l’altitude et au Jura, les bergers paysans ont fait le tour du voisinage. Mais en Suisse comme en France, il n’existe plus de variétés anciennes disponibles multipliées et récupérables… surtout pas hélas au catalogue légal, mais ni même en semences non homologuées chez des paysans ou producteurs.

Les protagonistes de Céréalpage espèrent pouvoir se procurer quelques sachets de variétés anciennes locales auprès de la station agronomique de Changins en Suisse, qui détient une banque conservatoire des plus riches du monde, ainsi qu’auprès de l’INRA de Clermont-Ferrand. Deux fermes ont également quelques graines qui pourraient être adaptées aux hauteurs jurassiennes, ainsi que le Réseau Semences Paysannes de Savoie qui possède un « blé du Jura ». à partir de ce melting-pot ancien de diverses sources qu’ils adapteront à leurs terroirs, les bergers paysans comptent s’engager dans une démarche de multiplication puis de sélection et d’échanges de semences. Bien sûr, « hors cadre légal et préconisations normatives du catalogue officiel, inadaptées et inapplicables à l’échelon d’une production paysanne soutenable ».

Zor, avec Gérard Vionnet, paysan engagé dans Céréalpage


Cet article est tiré du dossier "Menaces sur les semences paysannes", paru dans le magazine papier numéro 2 qui est sorti de presse début décembre. Pour le commander c'est ici,

Sommaire de notre dossier :

Introduction : Les paysans dépossédés de leurs graines 

Législation :  Une réglementation floue

                            Le GNIS, un groupement tout puissant

                            Brevets et COV, deux outils d'appropriation du vivant

Potagères : Faire ses semences, un savoir oublié des paysans

                         Sur les traces de l'oignon de Tarassac

                         Les Croqueurs de Carottes : le goût retrouvé

Céréales : L'INRA conserve des grains et invente les blés de demain

                       Des céréales en montagne

                       Blés en mélange

En pratique : Faites vos graines

Commentaires

l'ORGE ! pour l'adaptation des variété princeps sont encore à l'usage à plus de 1000m un peu partout heureusement ! l'ORGE

Les américains ne se déplacent que s'il y a des sous à gagner