Une région en tournée pour la "démocratie permanente"

En Centre - Val de Loire, la majorité PS-EELV, qui a remporté in extremis les dernières élections régionales, s’est lancée dans l’opération "démocratie permanente". Entre une "tournée citoyenne", des rencontres et des débats physiques ou en ligne, quelques élus partent à la rencontre des administrés. La promesse d’améliorer les pratiques démocratiques est cependant loin de convaincre tout le monde.

Faire vivre une "démocratie permanente", telle est l’ambition de la Région Centre-Val de Loire, qui a nommé depuis les dernières élections en 2015 un vice-président délégué à la démocratie et aux initiatives citoyennes. « Il existe une crise démocratique, une inquiétude vis-à-vis des politiques et des doutes sur les institutions, mais on observe dans le même temps une mutation, des initiatives multiples pour essayer d’améliorer les choses », explique Charles Fournier qui occupe le poste. « Tout l’enjeu est d’inventer de nouvelles formes de légitimités », plaide l’élu écologiste qui vient de lancer l’opération "démocratie permanente" dans le but de « créer le débat pour dépasser le clivage stérile entre démocratie représentative et démocratie directe ».

Plusieurs manifestations sont au programme. Une « tournée citoyenne », qui s’étale de février à juillet, promènera les élus volontaires à la rencontre des habitants dans les six départements de la région. Des débats et des rencontres sont prévus dans 23 bassins de vie en autant de journées et la Région s’est engagée à faire le compte-rendu de l’ensemble des débats et à adopter fin 2017 une délibération sur le fonctionnement de la "démocratie permanente". Des groupes constitués de citoyens tirés au sort, d'élus et de représentants d'association seront chargés de reformuler les propositions recueillies sur Internet et lors de la tournée citoyenne, afin de formuler des propositions à l’assemblée régionale.

En quête d'idées

Ce 8 février, la tournée des élus démarre. L’opération a été montée avec l’aide de l’association Démocratie Ouverte[1], co-fondée par Armel Le Coz, qui explique viser un double objectif : « créer un autre type de relation entre les élus et les citoyens, parce qu’elle est souvent vécue comme condescendante, et améliorer l’efficacité des politiques publiques, qui devraient s’appuyer sur l’expertise d’usage des citoyens, les meilleurs connaisseurs de leur quotidien. » La première rencontre se déroule dans un café de Châteuneuf-sur-Loire, avec un rendez-vous donné à 10 h aux membres du collectif Châteuneuf en transition. Ceux-ci expliquent aux élus leur mode de gouvernance, qu’ils décrivent comme horizontale, avec une attention portée à l’écoute, même si ce n’est pas toujours facile et que ça ne permet pas toujours d’éviter les conflits. Charles Fournier s’enthousiasme de la capacité du groupe à utiliser le "nous" et pas le "je" pour parler de leurs projets. Ce qu’il veut dénicher avec la "tournée citoyenne", c’est un maximum d’idées, d’avis, de suggestions aussi bien lors des rencontres physiques que sur une plateforme Internet dédiée. Il en profite pour émettre une proposition : que la région chapeaute une rencontre entre tous les territoires en transition.

La réaction de ses interlocuteurs ne se fait pas attendre : « ce mouvement doit rester citoyen, pas venir d’en haut ». Confronté à cette méfiance et à l’accusation de récupération, Charles Fournier demande au groupe ce qu’ils attendent des institutions. « Un éventuel soutien sur nos projets, on ne veut pas qu’elles nous disent ce que nous devons faire », lui répond-on. « On ne veut pas uniquement être le tiroir-caisse et les fournisseurs de matériels, donnez-nous la chance de réinventer nos institutions, il faut changer la posture des deux côtés, innover collectivement », rétorque le conseiller régional. Une personne du collectif pointe « l’importance de disposer de lieux qui incarnent la transition, pour pouvoir communiquer et rayonner ». Mais il est midi passé, déjà l’heure de repartir pour la tournée. Par manque de temps, le débat aura été un peu frustrant, rendez-vous est donné ce soir à la Fabrik, pour une rencontre destinée au public.

Défiance et décalage

La camionnette décorée aux couleurs de la "démocratie permanente" se dirige en périphérie d’Orléans pour la prochaine étape, les ateliers de Respire, une association de réinsertion qui propose ses services pour l’entretien des espaces verts, la collecte des déchets, gère un garage solidaire, etc. Après la « rencontre des engagés » de ce matin, c’est le « déjeuner citoyen », dont le principe est d’organiser une rencontre entre des élus et des personnes qu’ils ne côtoient pas souvent. La nappe sur laquelle se dressent quelques salades, tartes, et gâteaux, sert aussi de support pour une frise qui représente la journée d’un individu imaginaire. Il s’agit de repérer comment il est possible de s’impliquer quotidiennement dans la vie démocratique. Les idées qui en ressortent évoquent l’engagement dans des associations, de faire des cafés débats à la fin de la journée, de parler politique à la pause café, commenter les journaux à la pause déjeuner, etc.

Mais certains ne semblent guère convaincus et trouvent la démarche un peu trop vague. Beaucoup se demandent ce qui pourra bien ressortir de tout ça. Arsène, chef d’équipe à Respire, ne se dit pas forcément intéressé par la politique, mais éprouve le besoin d’en parler, de pouvoir en discuter, surtout de l’échelon local. « C’est plus dur quand on connaît moins. Il faudrait aussi du temps en plus, c’est pas facile pour des gens qui travaillent ». Dans ce petit groupe de discussion informelle, une des rares élues présentes souligne qu’elle se levait à 5 h pour aller tracter devant les entreprises en période électorale, qu’elle a sa journée dans un cabinet de conseil juridique, et qu’elle peut encore se consacrer à la politique de 20 h à 23 h, puis enfin se détendre et regarder une série. Le décalage est frappant, l’un des salariés de Respire lui répond un peu éberlué qu’après sa journée de travail, il s’endort à 21 h.

La tournée prend encore du retard sur son prochain rendez-vous, programmé dans un hall de l’université d’Orléans. Un seul étudiant prendra la parole pour souligner le manque de lieux où il est possible de confronter des idées. Puis le débat se poursuit autour du rôle des experts et de l’orientation des recherches. Mais c’est décidément la course, il faut encore se déplacer dans un café du centre d’Orléans pour évoquer le lycée du futur. Cette fois, Charles Fournier n’a même pas le temps d’assister à la fin, il doit se rendre en conférence de presse. Devant deux journalistes, il évoque « l’urgence de reconstruire l’intérêt général, et le défi majeur qui consiste à élargir le cercle de ceux qui participent. Il faut sortir des TLM, toujours les mêmes. Il ne faut pas oublier que le monde a changé avec eux, mais il faut apprendre à renouer avec les autres. » La chargée de communication semble étonnée que les promesses de démocratie participative aient du mal à être prises au sérieux et regrette que plusieurs médias ne soient pas là. « Ils disent que c’est de la communication, mais ils ne s’intéressent pas à ce que l’on fait ».

La Fabrik est présentée comme le clou de la journée, c’est un temps d’échange et d’ateliers participatifs ouverts à tous dans une salle d’exposition d’Orléans. Il est 18 h, et une soixantaine de personnes ont répondu présentes, dont des élus et des membres de l’organisation. La forme est importante ; depuis ce matin, différents outils ont été utilisés pour favoriser l’émergence de l’intelligence collective. Cette fois, tout le monde est invité à se déplacer au centre s’il se sent concerné par des grands thèmes comme la santé, l’éducation, alimentation, les transports, etc. Ensuite, chacun est invité à trouver les personnes intéressées par le même thème pour le développer en petit comité avec l’élu de référence. Mais avant tout, chaque groupe ainsi constitué dispose de 30 minutes pour échanger autour de la démocratie, de sa signification, des façons de mettre en place une "démocratie permanente". La conclusion est partagée que nous ne vivons pas en véritable démocratie, qu’il faut des instances de débats, associer les citoyens à l’élaboration de la décision, et l’idée du tirage au sort surgit.

Et après ?

« Je sens que beaucoup de personnes veulent reprendre le pouvoir », confie Isabelle, participante de la Fabrik. Elle voudrait garder espoir, mais reste très méfiante vis-à-vis d’une telle opération. Elle a déjà été déçue par des réunions citoyennes convoquées par la ville d’Orléans à propos d’un pôle santé. « Tout s’est arrêté sans explications. Il faut être sûr que lorsque l’on consulte les gens ce n'est pas du temps perdu, des idées qui finiront dans des tiroirs. Si on fait des propositions sur des thèmes précis, il faut savoir quel budget on a derrière. » Pour Philippe Fournié, vice-président délégué au transport et présent dans le groupe dédié, « la démocratie permanente ne sera pas le grand soir, mais ça peut nous faire évoluer. Si cela nous permet d’associer petit à petit les élus, les citoyens et les professionnels, on aura énormément avancé. » Il voudrait voir les élus sortir de leur posture toute puissante et du clientélisme pour « soutenir des projets et faire le lien avec la réalité financière, les porter techniquement. »

Il faut l’avouer, la "tournée citoyenne" et les promesses de "démocratie permanente" ne suscitent pas un fort engouement populaire, pas assez pour sortir des "TLM". Le site Internet n’a recueilli presque aucun avis après la tournée du Loiret et les participants restent généralement très méfiants. « Moi aussi j’ai peur que rien n’en sorte », confie Armel Le Coz, « On a, a priori, un engagement fort des élus, mais qui peut accoucher d’une souris. On joue un rôle de garant avec notre association, on force la main aux politiques pour qu’ils prennent des engagements sur lesquels ils ne pourront pas revenir. Il y a aussi eu tout le travail informel avant de se lancer dans cette aventure avec eux, pour s’assurer que les élus et les agents de la collectivité avaient une volonté réelle de transformation et d’innovation démocratique et politique. On voit très vite ceux qui sont là pour faire de la com et ceux qui sont sincères. » On pourrait aussi ajouter que le fait pour des élus d'aller à la rencontre de leurs administrés pour se confronter aux réalités devrait être le minimum. Et si cette opération n’est encore qu’une promesse vaine d’associer citoyens et élus entre deux élections, ces derniers perdront définitivement toute légitimité et confiance.

Guillaume

1. Démocratie ouverte est un collectif citoyen indépendant qui promeut les initiatives politiques citoyennes et tente de faire le lien avec les élus et administrations.


Cet article a initialement été publié dans le dossier "Peuple cherche démocratie" du magazine Lutopik #14 (printemps 2017). Pour le commander, ou vous abonner, c'est ICI.