Le chantier des aides à la presse

Critiqué depuis de longues années pour son inefficacité et son injustice, le système des aides à la presse est en pleine réforme. Pour le rendre plus crédible et réduire les coûts, le gouvernement envisage de supprimer la réduction du tarif postal pour les titres de divertissements, tandis que les aides directes seront plus accessibles aux publications qui contribuent au débat public.

Instaurées dès 1796 en France sous la forme d’un tarif postal privilégié, les aides publiques versées à la presse sont censées « favoriser la diffusion des idées et des faits pour mieux éclairer le citoyen dans ses choix politiques ». Aujourd’hui, leurs trois objectifs fixés par le ministère de la culture sont « le développement de la diffusion, la défense du pluralisme, et la modernisation et la diversification vers le multimédia des entreprises de presse ».

Ces aides ont toujours été très opaques. Il a fallu attendre 2013 pour que le montant des subventions accordées aux 200 titres les plus aidés par l’État soit rendu public, et cela n’a pas manqué de susciter quelques interrogations.  « Comment expliquer que Télé 7 jours ait reçu trente-huit fois plus d’argent public que Le Monde diplomatique ? » se demande le journal classé 178ème en jugeant édifiant que « des titres aussi indispensables au débat public » que Closer ou  Le Journal de Mickey reçoivent plus d’aides qu’eux. L’année suivante, le mensuel ne fait même plus partie des 200 titres les plus aidés, avant de réapparaitre dans la liste de l’année 2014 à la 104ème place, avec  319.113 €.

Plus d'un milliard d'€ d'aides publiques annuelles

Parmi les grands gagnants de 2013, on retrouve Le Monde  et Le Figaro, qui ont touché plus de 16 millions d'€ chacun et Aujourd’hui en France, qui récolte 12 millions d'€. Ils sont suivis de Ouest France, La Croix, Télérama, Libération (environ 10 millions d'€). Télé 7 jours (6,9 millions €), Télé Star et Paris Match (5 millions d'€), Télé Loisirs (4,4 millions d'€) se classent dans le Top 17. La presse féminine ne démérite pas, avec Femme Actuelle (2,9 millions d'€) ou encore Elle (2,6 millions d'€). Des magazines people comme Gala ou Closer parviennent à récolter plus de 500.000 € chacun. Les aides ont été un peu moins importantes en 2014, sans que le classement n’évolue sensiblement. Bien que les titres de loisirs ou de télés ne bénéficient que des aides postales (incluses dans les sommes mentionnées), on est en droit de s’interroger sur la crédibilité d’un tel dispositif de soutien qui n'a pas d'exigences en termes de qualité éditoriale ou de contenu.

En plus de ces aides directes et de la réduction du tarif postal, la presse est aussi favorisée par toute une série d’autres aides indirectes, qui sont beaucoup plus complexes à chiffrer (voir plus bas pour le détail). Le député Michel Françaix calculait en 2012 que 2,1 milliards d’euros d’aides publiques étaient alloués chaque année à la presse.  La Cour des comptes, qui note un doublement des dépenses budgétaires entre 2009 et 2011, estime qu’avec la prise en compte du taux de TVA à 2,1%, « le total cumulé des aides directes et indirectes accordées au secteur de la presse écrite sur cette même période peut être estimé à 5 milliards d’euros ». Le Spiil (syndicat de la presse indépendante et d’information en ligne) chiffre quant à lui à 1,1 milliard d'€ le montant des aides à la presse pour l’année 2014.

« Pour coûteuses qu’elles soient, les aides à la presse n’ont pas démontré leur efficacité », assène un rapport de la Cour des comptes en 2013, d’autant que « la crise de la presse persiste et s’accroît, en dépit des moyens engagés par l’État ». Le secteur souffre d’une baisse des ventes et des ressources publicitaires et, bien que les journaux appartiennent souvent à des milliardaires, ils sont en mauvaise situation financière. Ces aides, considérées comme un « avantage acquis » par leurs bénéficiaires, représentent 15 % du chiffre d’affaires cumulé de la presse selon les calculs du Spiil, et même 20 % pour les quotidiens ou hebdomadaires d’information politique et générale. Une si forte dépendance est étonnante, surtout quand les « éditocrates » ne cessent de sermonner l’État sur ses dérives budgétaires et d’attaquer le « système d’assistanat » (voir encadré).

Quant aux aides au pluralisme, censées constituer l’une des justifications premières du soutien public à la presse, elles ne représentent que 10,8 millions d'€. Celles destinées aux quotidiens nationaux à faibles ressources publicitaires ne bénéficient qu’à cinq titres, qui se partagent un peu plus de 9 millions € (L’Humanité, La Croix, Libération, Présent et L’Opinion). Les autres aides concernent les quotidiens régionaux, départementaux et locaux à faibles ressources de petites annonces (15 titres aidés en 2013 pour 1,4 million d'€) et l’aide à la presse hebdomadaire régionale concerne moins de 200 titres pour 1,4 million d'€ également.

La Cour des comptes dénonce particulièrement le « régime économique général de la presse ». Chaque titre enregistré auprès de la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) bénéficie automatiquement des deux mesures les plus coûteuses pour la collectivité : le taux super réduit de TVA et l’aide au transport postal, qui est d’ailleurs en diminution. Pour la Cour, l’objectif serait donc de resserrer les efforts sur la presse IPG (pour Information politique et générale, qui ne concerne pour le moment que les quotidiens, les hebdomadaires et les sites Internet d’information) censée « éclairer le jugement des citoyens ». Pour les titres de loisirs ou de divertissements, « les enjeux ne semblent pas relever de l’expression des pensées et des opinions au sens de l’article 11 de la Constitution, qui seul justifie l’intervention de l’État ».

Une réforme en vue

Sans remettre en cause la faiblesse du montant des aides au pluralisme, elle décrit également « une répartition inadaptée des crédits entre les types d’aides à la presse » en pointant notamment du doigt les aides à la diffusion, qui représente les trois quarts du montant des aides directes. Elle les juge disproportionnées, d’autant plus que la majorité de ces aides (60%) sont destinées à favoriser le transport postal, qui « n’apparaît pas comme le mode de diffusion le plus porteur d’avenir », bien qu’il constitue l’une des missions de service public dévolues à La Poste. Comme la priorité politique est donnée au portage (des sociétés privées qui distribuent la presse), la Cour préconise de réaffecter une partie des aides accordées à La Poste au développement du portage. On pourrait aussi ajouter que les aides à la diffusion bénéficient davantage aux journaux truffés de publicités, qui peuvent envoyer des articles noyés dans des pages de réclames à un tarif subventionné.

Certaines de ces recommandations ont été entendues. Après trente ans de critiques, une réforme est en préparation. Les grandes lignes ont été annoncées début juin par Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. La grande nouveauté, c’est que des économies seront réalisées sur les titres de la presse récréative ou de loisir, qui ne devraient plus bénéficier des aides postales. Les journaux labellisés IPG conserveront ce privilège, tout comme les publications d’une nouvelle catégorie : la « presse du savoir et de la connaissance », qui regroupera les publications scientifiques, professionnelles et celles à vocation pédagogique.

Les mensuels, et éventuellement les trimestriels, pourraient bénéficier à  l’avenir d’aides directes, comme celles dédiées au pluralisme. Un dispositif de soutien de deux à trois ans à la création d’entreprises de presse est aussi annoncé. En avril, le ministère avait lancé un appel à projets « Médias de proximité » doté d’un million d’euros qui ciblait surtout les petites structures. Il serait éventuellement envisagé de le pérenniser, un peu sous la forme du soutien à l’expression radiophonique, le FSER, qui fait vivre des centaines de radios locales et associatives pour un budget de 29 millions d’euros par an. Ces annonces ne sont pour le moment que des promesses, un décret apportera prochainement plus de précisions.

Texte : Guillaume

Dessin : Stouff


Les aides et nous

Lutopik étant inscrit au registre de la CPPAP, nous bénéficions de la TVA à 2.1 % et des tarifs postaux préférentiels qui nous permettent d’envoyer notre revue pour environ 0,30 € au lieu d'1,80 €. Jusqu’à présent, nous n’avons jamais touché d’autres aides ni de subventions. Nous avons cependant répondu à l’appel à projets « Médias de proximités » en sollicitant une aide de 4.900 € qui nous permettrait pour un an de créer deux emplois aidés et de disposer d’un budget pour rémunérer les auteurs ou les dessinateurs de Lutopik.

Mise à jour du 29/8/2016 : Cette aide nous a été accordée l'an passé, mais refusée cette année. Ce sont donc nos seuls lecteurs qui permettent à Lutopik de continuer d'exister.

En cette rentrée 2016, une nouvelle réforme des aides à la presse a été décidée. Elle prévoit notamment une aide pour la création de médias et un élargissement des aides destinées aux médias d'information politique et générale.

 


Cet article a initialement été publié dans le dossier "Médias: ceux qui résistent, ceux à qui l'on résiste" du magazine numéro 7 paru en juin 2015. Ce numéro est aujourd'hui épuisé mais vous pouvez le consulter en ligne ICI