Ces médias libres qui résistent

Les médias libres diffusent une information différente et plus variée que celle proposée par la presse dominante. Ses atouts résident dans son indépendance et sa proximité avec les gens, mais cette liberté se paie souvent au prix de la précarité.

Si l’information est un combat, les médias sont des armes et certains préfèrent les difficultés du maquis au confort du journalisme de marché. Cette résistance aux médias dominants représente des centaines de journaux, de sites Internet, de radios ou de télés associatives. Tous différents dans la forme, le ton et le fond, ils ont au moins une caractéristique commune : l’indépendance financière. Ces médias peuvent se prétendre libres parce qu’ils ne sont pas soumis aux pressions des grands patrons de presse et des annonceurs. Ils appartiennent à ceux qui les fabriquent et vivent grâce à ceux qui les lisent ou les soutiennent.

« L’action des médias libres se fonde sur la recherche d’indépendance vis-à-vis du contrôle exercé par l’État, les pouvoirs économiques, politiques, idéologiques, religieux et les grands groupes de communication. Nous nous démarquons des logiques de profit et de marché qui caractérisent les médias hégémoniques », précise par exemple la Charte mondiale des médias libres adoptée à Tunis en mars 2015. Alors, comment les reconnaître ? « Il existe tout un faisceau d’indices, par exemple la structure juridique, qui peut être une association ou une coopérative. Ça peut poser plus de questions quand il s’agit d’une société commerciale », explique Sébastien Boistel du journal Le Ravi. Cette définition exclurait par exemple un journal comme le Canard enchaîné, édité par une entreprise qui appartient à ses salariés.

 

Des médias engagés

Parmi les médias libres, beaucoup sont engagés et défendent un idéal revendiqué, sans se cacher derrière une prétendue objectivité. « Au Ravi, on n’est pas qu’un journal, on fait aussi de l’éducation populaire, des débats, on organise des événements. On est présents dans la cité et on s’engage. Quand  on parle de la question du logement social, on le fait autour de personnes qui se sont fait expulser ». Hervé Kempf, rédacteur en chef du site Reporterre, assume un regard écolo et souligne l’un des rôles des médias libres qui « relaient les luttes sur le terrain ». À l’Âge de Faire, « on défend une écologie sociale et la réappropriation de la décision publique par les citoyens », explique Lisa Giachino, la rédactrice en chef. « Au départ on était très écolos, mais on s’est assez vite étendus aux alternatives sociales et économiques ».

L’écrasante majorité des médias libres n’a ni les moyens ni forcément l’envie de coller au plus près de l’actualité. Ils préfèrent se placer en dehors du jeu politicien, ne recyclent pas les dépêches AFP, ne font pas la course à l’audimat et se retrouvent plus volontiers du côté du peuple que des dirigeants. « On doit faire des sujets ambitieux, ne pas être dans le rabâchage », indique Lémi d’Article 11. « Les médias libres se réapproprient les outils et la manière de faire l’information, ils créent leur propre manière de parler et ont une approche plus offensive », poursuit-il. « On essaie d’aller chercher les paroles du quotidien, de la rue, de partir de l’expérience des gens », explique Christophe Goby, du journal CQFD. « Quand on arrive dans une manif, on a tendance à aller voir n’importe quel ouvrier, pas le délégué syndical ».

En lien avec leurs lecteurs

La manière de travailler n’est pas non plus la même que dans des rédactions traditionnelles, « il faut prendre le temps de la rencontre, ne pas rester 20 minutes et faire genre j’ai tout compris », explique Pierre Isnard-Dupuy, de radio Zinzine. Il parle aussi de l’importance d’établir des liens forts avec les auditeurs. « Il ne faut pas de relations juste dans un sens. Nos auditeurs sont invités à nos AG, on a des retours et c’est l’occasion de faire une critique, de voir s’il y a des problèmes de diffusion, etc. Certains font des propositions et des nouvelles émissions peuvent se monter. L’idée est de rester ouvert ». Laurent Cougnoux, rédacteur en chef du Lot en Action, constate l’intérêt que peut avoir un tel journal : « C’est un outil médiatique et citoyen et les gens commencent à s’en emparer. On tire à 2.500 exemplaires et on sait qu’il s’échange pas mal, il y a deux trois lecteurs par numéros. Sur un département de 170.000 habitants, ça commence à peser. Les gens du milieu alterno se tournent vers ce média, ce qui développe les réseaux, jette des passerelles entre les acteurs. Cela donne une dynamique intéressante ». Les liens avec les lecteurs et leur implication ont marqué Lisa Giachino lors de son arrivée à l’Âge de Faire. « Ils réagissent, tiennent des stands pour vendre le journal, on peut dormir chez eux quand on va en reportage, et ils nous indiquent aussi quelques idées de sujets ».

Mais pour toucher le public, encore faut-il assurer sa diffusion et pouvoir se faire une place face aux médias dominants. C’est l’un des gros défis des médias libres. Tout le monde doit se faire connaître et la presse papier doit trouver des points de vente. « Au départ, on est allés voir les messageries de presse, mais ils demandaient 60 % du prix de vente ! On a déchanté un peu et on s’est demandé où était la place d’un média libre dans le paysage. Car c’est difficile d’avoir une visibilité sans être en kiosque », affirme Laurent Cougnoux du Lot en Action. Ils sont aujourd’hui distribués dans 75 points de vente qu’ils approvisionnent eux-mêmes. D’autres avaient franchi le pas, comme Article 11. « Tu ne peux pas imaginer distribuer nationalement sans passer par une des deux grosses boîtes de diffusion. Mais c’est très difficile d’y laisser un journal, il y a de moins en moins d’argent pour le même nombre de ventes », souligne Lémi.

 

Des circuits de distribution innovants

Une distribution en kiosques implique aussi une augmentation du tirage et une destruction des invendus, à moins de les racheter pour le prix du papier. Pour réduire les coûts, les médias libres se font inventifs. L’Âge de Faire, qui n’est pas disponible en kiosque, a développé un réseau original de diffusion avec des centaines de lecteurs qui vendent eux-mêmes le journal. Des points de vente de toutes sortes se sont aussi créés : « il y a des librairies, des épiceries, des magasins bio, des petits super U, un serrurier », relate Lisa Giachino. Il existe aussi plusieurs kiosques alternatifs qui se montent, comme celui de Stéphane à Albi. Il propose en différents lieux des publications qui ne sont pas forcément en kiosque. « Je vais au contact des gens et j’essaie de proposer autre chose que des titres mainstream sur la table de presse, parce que les gens n’ont pas forcément le réflexe pour aller les chercher ».

La débrouille et le manque d’argent sont très courants dans l’univers de la presse alternative. Chacun essaie de trouver une recette qui permette de continuer. Il existe plusieurs modèles économiques, basés sur le mode du salariat, avec des contrats aidés ou pas, ou du bénévolat. Certains acceptent les entrées d’argent extérieures, d’autres pas. Si le Ravi compte beaucoup sur ses lecteurs et les abonnements, il accepte aussi des publicités institutionnelles et des subventions, ce qui lui permet de « diversifier les ressources ». D’autres les refusent tout net, comme à CQFD : « avec ce que l’on écrit dans nos pages, on ne pourrait pas trop se regarder en face avec une pub du Conseil général ». Le Lot en Action les rejetait aussi par principe et ne voulait pas non plus « rentrer dans le moule avec la CPPAP », une commission qui identifie les titres de presse pouvant bénéficier par exemple des tarifs postaux préférentiels. Mais ils ont fini par se déclarer à la CPPAP parce qu’« à un moment, la question de la survie du journal se pose ». Beaucoup lancent des appels aux dons ou des campagnes d’abonnements. Ils peuvent aussi être financés par des fondations ou effectuer des expertises…

Cependant, nombre de médias libres disparaissent chaque année, les difficultés sont nombreuses et les équipes peuvent vite s’épuiser face à la charge de travail, qui n’est pas souvent rémunérée. Les radios associatives ne roulent pas sur l’or, mais elles peuvent prétendre à un fonds de soutien spécifique, le FSER, qui peut atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros par an et par radio. La création d’un fonds de soutien du même type, qui accorderait des subventions de fonctionnement de manière inconditionnelle pour tous les autres supports (papier, web, tv) semble fédérer une très large partie des médias libres. C’est l’une des revendications de la CPML (la Coordination permanente des médias libres, qui regroupe plus de cinquante médias et associations d’usagers), « pour que la puissance publique reconnaisse et soutienne la contribution au pluralisme de ces médias qui remplissent de fait une mission d’intérêt général ». Dans un contexte de concentration des médias, l’enjeu est essentiel. Il s’agit de ne pas laisser le monopole de l’information à des groupes financiers ou industriels, qui sous une apparence de neutralité défendent surtout leurs propres intérêts.

Guillaume


Cet article a initialement été publié dans le dossier "Médias: ceux qui résistent, ceux à qui l'on résiste" du magazine numéro 7 paru en juin 2015. Pour le commander, ou vous abonner, rendez-vous ICI